jeudi 31 mai 2012

Témoignage exclusif dans un camp de réfugiés du Nord-Kivu : "C’est la famine"

Notre Observateur s’est rendu dans le camp de Mugunga dans le Nord-Kivu, cette région du nord-est de la RDC où l’armée congolaise traque depuis fin avril les mutins fidèles à Bosco Ntaganda, un ancien rebelle recherché par la justice internationale. Il y a vu des milliers de réfugiés qui ont tout laissé derrière eux et aujourd’hui ne demandent qu’une chose, "rentrer dans leur village pour sauver leurs cultures".

L’offensive menée depuis plus d’un mois par l’armée congolaise contre les soldats mutins de l’ancienne rébellion du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) a jeté des milliers de personnes sur les routes. Entre le 10 et le 20 mai dernier, le Haut commissariat aux réfugiés (HCR) a dénombré plus de 40 000 déplacés dans le Nord-Kivu. Des dizaines de milliers de familles ont aussi trouvé refuge au Rwanda et en Ouganda voisins.

Ralliés à l’armée régulière en 2009, les soldats issus de l’ancien mouvement rebelle du CNDP sont entrés en dissidence à la fin du mois d’avril. Ils reprochent au président Joseph Kabila de ne pas respecter les accords conclus dans le cadre de leur intégration à l’armée régulière il y a trois ans. Les mutins soutiennent le fugitif Bosco Ntaganda, l’ancien numéro 1 du CNDP accusé par la Cour pénale internationale de crimes de guerre commis lors des différents conflits armés qui ont ravagé l’est du pays. Selon la justice militaire congolaise, Bosco Ntaganda serait d’ailleurs le premier initiateur de ces mutineries.

Ces derniers jours, les autorités congolaises ainsi que des organisations d’aide comme le HCR, le Programme alimentaire mondial (PAM) ou encore Caritas ont distribué des lots de nourritures et de médicaments aux déplacés de Mugunga.

Le camp de Mugunga, situé à une dizaine de kilomètres à l’ouest de Goma, chef-lieu du Nord-Kivu, accueille des réfugiés depuis une vingtaine d’années, depuis que cette région est le théâtre de conflits impliquant plusieurs groupes armés et pays africains, essentiellement le Rwanda et l’Ouganda.

Toutes les photos ont été prises par notre Observateur Alain Wandimoyi.

"J’ai vu une femme accoucher en plein air sans assistance"

Alain Wandimoyi est photographe et blogueur à Goma. Le 23 mai dernier, il s’est rendu dans le camp de Mugunga 3 (le camp est divisé en trois sections), où les réfugiés arrivent de Masisi, une localité située à plus de 60 kilomètres au nord-ouest de Goma.

Quand je suis arrivé à Mugunga 3, j’ai été choqué par les conditions de vie des réfugiés. Ces deux dernières semaines, presque 6700 personnes sont arrivées à Mugunga 3. Le camp est dans un sale état : il n’y a pas de toilettes et les tentes sont complètement délabrées. Certains dorment dans les bâtisses fabriquées pour servir d’écoles aux enfants, mais la plupart vivent dehors à même le sol. J’ai vu une femme accoucher en plein air sans assistance. Il y a aussi beaucoup de vieillards qui errent seuls et des gens malades. Les équipes de secours distribuent de la nourriture - de la farine de maïs et de l’huile végétale - mais c’est insuffisant, c’est la famine.

La journée, les hommes se rendent sur des chantiers situés à côté du camp pour tenter de trouver des petits boulots. Sinon, la majorité reste là à attendre. Quand ils me voyaient les prendre en photo, les gens me remerciaient et me disaient : "Que le monde entier sache que nous existons". Ils m’ont tous dit que ce qu’ils voulaient, ce n’était pas tant l’aide humanitaire que de rentrer dans leur village pour sauver leurs cultures.

mercredi 23 mai 2012

RDC: l'armée attaque les mutins sur deux nouveaux fronts

Après avoir repris plusieurs localités samedi, l'armée congolaise a commencé à attaquer dimanche de nouvelles positions des mutins ex-rebelles dans la province instable du Nord-Kivu, dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC), où les déplacés fuient toujours les combats.
Après de violents combats samedi dans le territoire de Rutshuru, frontalier de l'Ouganda et du Rwanda, l'armée a repris des positions telles que "la localité de Bugusa, la localité de Tchengerero et (la colline stratégique de) Mbuzi", a déclaré dimanche l'attaché de presse du gouvernorat du Nord-Kivu, Célestin Sibomana, à l'AFP. Dimanche, les combats ont repris. "Aux heures matinales (...), les FARDC (Forces armées) ont pilonné et fragilisé plusieurs positions des insurgés sur les collines de Bukina, Mbuzi et Runyonyi", indique dans un communiqué le vice-président de la société civile du Nord-Kivu, l'avocat Omar Kavota. "Depuis 14h00 (même HB), Mbuzi, face à la frontière avec le Rwanda, et Chanzu, près de la frontière avec l'Ouganda, ont connu des affrontements et c'est là où jusqu'à présent il y a un front entre les FARDC et les mutins", a expliqué dans l'après-midi M. Sibomana. Plus tôt dans la journée, le porte-parole des mutins du Mouvement du 23 mars (M23), le lieutenant-colonel Vianney Kazarana, avait déclaré qu'ils "résistaient" aux assaults de l'armée "à 3km de Bunagana, dans la zone de Jomba", pour laquelle l'armée et les dissidents se sont violemment affrontés samedi. (GGD)

Belga | 20 Mai 2012 23h48

RDC: l'armée intensifie les frappes contre les mutins ex-rebelles de l'est

AFP - L'armée de RDC a intensifié son offensive dans la province instable du Nord-Kivu (est) contre des mutins ex-rebelles qu'elle combat depuis près de deux semaines et qui résistent malgré un premier bombardement aérien de leurs positions samedi.

"Deux avions de guerre (...) de bombarder la colline de Runyonyi et de Chanzu", près de la frontière avec le Rwanda, a déclaré samedi après-midi à l'AFP un colonel loyaliste des Forces armées (FARDC), sans donner plus de précisions.

Me Omar Kavota, vice-président de la société civile du Nord-Kivu, a confirmé à l'AFP le bombardement de Runyonyi, "base" des mutins, Chanzu, ainsi que de Bikenge. "Mais les mutins gardent toujours le contrôle de ces localités" prises jeudi, et ne semblent pas "destabilisés".

Mais, a-t-il ajouté les mutins ont "échoué" dans leur tentative de prendre la base militaire de Rumangabo depuis la colline stratégique de Mbuzi après avoir été repoussés par les FARDC. Les mutins ont également été chassés de Bunagana, à la frontière avec l'Ouganda, selon des sources militaires.

Les dissidents se réclament du Mouvement du 23 mars (M23), un nouveau mouvement militaire composé d'ex-membres de l'ancienne rébellion du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) et dirigé par le colonel Sultani Makenga, un ex-officier du CNDP qui a déserté le 4 mai avec plusieurs dizaines de ses hommes.

Début avril, plus d'une dizaine d'officiers supérieurs de l'ex-CNDP, intégrée dans l'armée en 2009 après des accords de paix avec Kinshasa, ont déserté avec quelques centaines d'hommes dans les provinces instables des Nord et Sud Kivu (est).

Les soldats ex-rebelles, dont la plupart auraient plus tard rejoint leurs unités ou se seraient rendus, sont proches du général Bosco Ntaganda, l'ex-chef d'état-major du CNDP recherché par la Cour pénale internationale (CPI) pour enrôlement d'enfants soldats.

Il est également recherché par Kinshasa pour sa "responsabilité" dans les combats qui ont commencé le 29 avril au Nord-Kivu.

Selon l'armée le général Ntaganda et son "petit groupe" sont traqués "dans le parc des Virunga", où un garde forestier et deux soldats ont récemment été tués dans une embuscade tendue par des miliciens non identifiés.

- "Les défections continuent" -

A Goma, capitale du Nord-Kivu, "il y a eu des perquisitions chez les ex-officiers FARDC qui ont rallié le M23. On continue à trouver des armes dans certaines habitations de quelques officiers", a déclaré à l'AFP le député Jason Luneno, élu dans cette ville.

Samedi dernier, l'armée avait cessé ses opérations et laissé cinq jours aux mutins pour regagner leurs unités, mais les heurts ont continué -principalement dans le territoire de Rutshuru, frontalier du Rwanda et de l'Ouganda- entre les FARDC et les hommes se réclamant du M23 ou du général Ntaganda.

"Lorsque les militaires avaient le dessus sur les ex-CNDP, les militaires CNDP étaient en débandade. Arrêter les opérations a créé une frustration du côté des FARDC. Ils ont exprimé beaucoup de sentiment de déception, et d'autres ont dit qu'ils ne sont plus motivés pour se battre", a souligné M. Luneno.

Il note par ailleurs que si des mutins se sont rendus, les défections continuent et "ce n'est pas à l'avantage de la population", déplacée par dizaines de milliers dans la province ainsi qu'au Rwanda et Ouganda voisins.

Près de 7.500 personnes se sont réfugiées au Rwanda, selon les autorités du pays, et "environ 3.000 Congolais" ont trouvé refuge provisoirement en Ouganda, selon l'ONU.

L'armée de RDC a intensifié son offensive dans la province instable du Nord-Kivu (est) contre des mutins ex-rebelles qu'elle combat depuis près de deux semaines et qui résistent malgré un premier bombardement aérien de leurs positions samedi

L'armée de RDC a intensifié son offensive dans la province instable du Nord-Kivu (est) contre des mutins ex-rebelles qu'elle combat depuis près de deux semaines et qui résistent malgré un premier bombardement aérien de leurs positions samedi

jeudi 3 mai 2012

Loin des caméras, le Nord-Kivu s’enfonce une nouvelle fois dans la violence

 

Un soldat de l'armée régulière sur la route dans la localité de Sake, au Nord-Kivu, lundi. Photo : Alain Wandimoyi.

Depuis près d’un mois, des soldats mutins sèment le trouble au Nord-Kivu, région située dans le nord-est de la République démocratique du Congo qui a été ravagée par des années de guerre. Posté à une dizaine de kilomètres de la ligne de front qui sépare les mutins de l’armée régulière, notre Observateur nous offre un témoignage et des images exclusives d’une crise qui se déroule loin des caméras.
Début avril, des soldats issus du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), une milice implantée dans le Nord-Kivu depuis 2003 et ralliée à l’armée régulière depuis 2009, ont fait défection. Les mutins reprochent notamment au président congolais Joseph Kabila de n’avoir pas "respecté les accords, passés entre lui et le CNDP, relatifs à la réforme de l’armée congolaise".  La mutinerie, forte de plusieurs centaines d’hommes, est conduite par le général Bosco Ntaganda, l’ex-chef d’état major du CNDP. Surnommé "Terminator", Bosco Ntaganda fait l’objet d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) depuis 2006 pour enrôlement d’enfants. Un nouveau mandat d'arrêt devrait être lancé prochainement contre lui pour des viols et des meurtres commis pendant qu'il était à la tête du CNDP et après son intégration dans l'armée en 2009. 
Depuis une semaine, les affrontements se sont multipliés entre les éléments rebelles et les FARDC, l’armée régulière congolaise. Dimanche, des combats particulièrement violents ont eu lieu dans la région de Masisi, une zone autrefois occupée par le CNDP où les mutins ont repris le contrôle de plusieurs localités. D’importants mouvements de population ont été signalés.

Toutes les photos ont été prises par notre Observateur Alain Wandimoyi et postées sur son blog.

Civils et soldats prennent la route dans la localité de Sake.

Le sous-sol du Nord-Kivu, région frontalière de l’Ouganda et du Rwanda, regorge de richesses minières très convoitées, parmi lesquelles le cuivre, le diamant mais aussi le coltan, un minerai utilisé dans la fabrication des téléphones portables. Depuis près de 20 ans, la zone est le théâtre de combats pour le contrôle de ces ressources.

Contributeurs

Alain Wandimoyi

"Les mutins sont éparpillés un peu partout et sèment la panique"

Alain Wandimoyi est photographe et blogueur à Goma. Il s’est rendu lundi dans la localité de Sake, dans la région de Masisi, où se trouve un important camp de l’armée régulière congolaise.

Les soldats du CNPD, ralliés à l'armée régulière depuis 2009, réclamaient notamment l’ouverture de postes dans l’armée et la reconnaissance des grades qu’ils avaient dans la milice mais, aujourd’hui, ils estiment avoir été floués par le pouvoir.

Les mutins se réclament tous de Bosco Ntaganda, qui se cache quelque part dans les collines. La situation dans la région de Masisi est très confuse. En quelques semaines, les mutins se sont éparpillés un peu partout dans les localités et sèment la panique. La population civil tente donc de fuir. Certaines personnes que j’ai rencontrées ont été prises au milieu de combats et m’ont expliqué que les rebelles n’hésitaient pas à tirer sur les civils. On ne comprend pas très bien quel est leur objectif.

Une déplacée se repose sur une route, près de Sake.

Les mutins occupent les espaces agricoles, donc les paysans sont obligés de leur laisser leurs champs et leurs productions. Beaucoup de civils arrivent à Goma, mais il n’y a aucune infrastructure pour les accueillir. Ils s’installent pour l’instant dans les écoles ou parfois même dans la rue. D’autres se réfugient au Rwanda voisin. Des soldats de l’armée régulière ont été vus sur les routes aux côtés des civils en fuite mais, d’après mes informations, il s’agit de replis tactiques. La plupart se retrouvent un peu plus loin pour organiser la contre-attaque.

Soldats des FARDC, l'armée régulière congolaise.

Deux soldats de l'armée régulière se retrouvent après la confusion sur le front.

"Les mutins ont interdit aux habitants de partir. C’est la technique qu’ils utilisent pour pouvoir plus facilement enrôler de force et augmenter leurs effectifs"

Les habitants qui ont réussi à fuir sont les plus chanceux car, dans plusieurs localités, les mutins ont interdit aux civils de partir. C’est la technique qu’ils utilisent pour pouvoir plus facilement enrôler les gens de force. Des cas de viol ont aussi été signalés.
La richesse de la région explique son instabilité. Dès qu’elles le peuvent, les milices tentent de remettre la main sur les gisements. Bosco Ntanganda s’est même rapproché dernièrement de la milice armée des Maï-Maï Cheka qui a la main sur un gros gisement de cassitérite [un minerai qui, une fois raffiné, est transformé en étain. Ce matériau est très prisé par l’industrie électronique, NDLR].

Sur une route, dans la région de Sake.

Ce que l’on redoute, c’est que la population souffre, une fois encore, de ces combats [entre 1998 et 2003, la deuxième guerre du Congo a ravagé le pays, entraînant viols et massacres. Le nord-est du pays avait été particulièrement touché, NDLR]. Mais, aujourd’hui, je ne crois pas que ces mutins puissent aller très loin. À moins qu'elle n'obtienne l’aide de pays étrangers comme le Rwanda [en décembre 2008, un rapport de l'ONU accusait le Rwanda de Paul Kagame d’avoir soutenu la milice tutsi de Laurent Nkunda, alors chef du CNDP jusqu’à son arrestation en 2009, NDLR], cette rébellion ne tiendra pas longtemps car elle ne compte pas beaucoup d’hommes et se retrouvera vite à cours de munitions.

Les deux photos ci-dessus ont été prises par Alain Wandimoyi en 2009, lors du ralliement d'éléments du CNDP à l'armée régulière congolaise. Postées ici.

Alain Wandimoyi

Billet écrit avec la collaboration de Ségolène Malterre, journaliste à France 24.