dimanche 19 décembre 2010

RWANDA : l’enquête Bruguière explose en plein vol

Après douze ans d’instruction sur l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion du président rwandais Habyarimana, les nouveaux juges « antiterroristes » français Nathalie Poux et Marc Trévidic ont levé les mandats d’arrêt internationaux qui avaient été lancés en 2006 contre des suspects rwandais par le juge Jean-Louis Bruguière. L’accusation marque le pas et pourrait aboutir à un non-lieu. Un coup de théâtre en perspective !

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Photo : L'épave du Falcon 50 de Juvénal Habyarimana en décembre 1995. Au premier plan, le président rwandais Pasteur Bizimungu.

Le mercredi 6 avril 1994 vers 20 h 30, le Falcon-Dassault du président rwandais Juvénal Habyarimana est touché par deux missiles alors qu’il s’apprête à atterrir à Kigali. L’avion explose et ses débris tombent sur la résidence présidentielle, située à proximité de l’aéroport. Tous les occupants sont tués, à commencer par le président du Rwanda, son collègue du Burundi Cyprien Ntaryamira et les trois membres français de l’équipage. Un épais mystère entoure l’attentat. Et depuis lors, deux thèses s’affrontent.
Un attentat des extrémistes hutu ?
Pour les uns, l’attentat a été commis à l’instigation des extrémistes hutu, qui ne veulent pas du partage du pouvoir et de la paix avec la rébellion majoritairement tutsi de Paul Kagame, paix à laquelle vient de se résigner le président du Rwanda. A l’appui de cette thèse, le fait que le génocide des Tutsi et le massacre des Hutu démocrates commence quelques minutes après l'attentat, menés par la Garde présidentielle et le Bataillon de reconnaissance, bras armés des durs du régime. Soigneusement planifiée depuis des mois, l’extermination des Tutsi est menée avec méthode partout dans le pays. Elle fera environ un million de morts en cent jours.
Un attentat de la rébellion majoritairement tutsi ?
Thèse inverse : l’attentat aurait été commis par un commando de rebelles du Front patriotique, qui se serait introduit derrière les barrières des Forces armées rwandaises pour « aligner » l’avion. Selon les tenants de cette thèse, Paul Kagame aurait pris cyniquement le risque de voir les Tutsi du Rwanda exterminés, pour s’emparer plus facilement du pays. Et l’Armée patriotique aurait commencé à faire mouvement vers la capitale avant l’attentat.
La désignation du juge Bruguière
Peu après l’attentat, le mercenaire français et ancien « gendarme de l’Elysée » Paul Barril tente de déposer plainte en France au nom d’Agathe Habyarimana, la veuve du président assassiné, qui est sa cliente. Mais le Parquet refuse d’y donner suite. Il réitère en 1998 alors qu’une mission d’information parlementaire s’apprête à analyser le rôle de la France au Rwanda. Cette fois, l’avocate de Paul Barril a déposé une plainte au nom de la famille du co-pilote français. Le célèbre juge « antiterroriste » Jean-Louis Bruguière est désigné pour instruire la plainte concernant les victimes françaises de l’attentat. Et il acceptera ensuite que la famille du président Habyarimana, qui réside en France, se porte partie civile.
La « méthode Bruguière »
Convaincu que sa vie serait en danger s’il enquêtait au Rwanda, le juge refusera toujours de s’y rendre et négligera même d’ordonner une expertise balistique. Par contre, il entend longuement les chefs extrémistes hutu emprisonnés à Arusha dans l’attente de leur jugement par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) institué par l’ONU au lendemain du génocide. Ceux-ci pointent du doigt le mouvement rebelle. Le juge français accorde aussi une grande importance au témoignage d’anciens militaires de l’Armée patriotique qui s’accusent d’avoir participé à l’attentat. Très vite, la conviction du juge est faite : l’attentat ne peut avoir été commis que par le FPR de Paul Kagame. L’instruction se poursuivra dans cette seule direction, négligeant toute autre piste.
Une instruction chaotique

Des anomalies ont caractérisé l’instruction. Fabien Singaye, un ancien espion au service de la famille Habyarimana, par ailleurs gendre de Félicien Kabuga (recherché par le TPIR comme le supposé « financier du génocide » et toujours en fuite) est recruté par Bruguière comme interprète puis comme expert. Les « repentis » qui s’auto-accusent de l’attentat ne sont même pas mis en examen après leur audition. Plus tard ils reviennent spectaculairement sur leurs aveux. Le « juge antiterroriste » consulte des hommes politiques et des diplomates étrangers sur l’évolution de son dossier. L’instruction, menée uniquement à charge, « fuite » auprès de journalistes amis, etc.

Les mandats d’arrêt internationaux

Finalement, en novembre 2006, le juge Jean-Louis Bruguière émet neuf mandats d’arrêt internationaux contre de hauts dignitaires de l’armée rwandaise et tente d’obtenir du procureur du Tribunal pénal international, Carla Del Ponte, des poursuites contre le chef de l’Etat rwandais Paul Kagame (qui bénéficie en France de l’immunité). Il semble que le juge ait obtenu un « feu vert » de l’Elysée et du Premier ministre Dominique de Villepin, adeptes de la thèse du « double génocide » au Rwanda. Bruguière provoque la colère du gouvernement rwandais qui rompt ses relations diplomatiques avec la France.
Bruguière, militant politique
Selon un télégramme confidentiel de l’ambassadeur américain à Paris Craig Stapleton, - révélé récemment par Wikileaks -, le juge Bruguière lui avait confié « qu’il avait l’accord du président Chirac » et il n’avait « pas caché son désir personnel de voir le gouvernement Kagame isolé ». Dans ces conditions, « l’enquête Bruguière » est-elle encore une instruction judiciaire menée par un magistrat indépendant ou une opération politique complaisamment relayée judiciairement ? La question se pose avec acuité lorsqu’en 2007 le juge apporte un soutien public au candidat Nicolas Sarkozy et se présente lui-même aux élections législatives dans la 3e circonscription du Lot-et-Garonne. Les électeurs n’apprécient pas plus son arrogance que sa voiture blindée et ses gardes du corps dans cette circonscription réputée facile. Battu, Jean-Louis Bruguière ne peut décemment considérer sa mise en disponibilité comme une simple parenthèse, mais bien comme un point final à sa vie de juge d’instruction.
Le dossier repris par Marc Trévidic
Jusqu’alors, Jean-Louis Bruguière pouvait s’appuyer sur un magistrat adjoint, le juge Marc Trévidic. Ce dernier reprend la plupart des dossiers. Celui du Rwanda lui paraît simple : les 9 hauts gradés rwandais visés par les mandats d’arrêt ne se présentent pas à son cabinet. Le magistrat s’apprête donc à clore l’instruction et à renvoyer les suspects devant une cour d’assises qui, en leur absence, les condamnera automatiquement au maximum de la peine. C’est ce qu’il explique aux parties civiles et à leurs avocats au mois d’octobre 2008. Une telle issue empêchera définitivement les suspects de s’expliquer judiciairement, sauf à venir se constituer prisonniers en France, ce que personne n’envisage, à plus forte raison alors que les relations diplomatique sont rompues entre le Rwanda et la France.
Coup d’éclat : l’arrestation de Rose Kabuye
En novembre 2008, Rose Kabuye, l’élégante et charismatique chef du protocole du président du Rwanda, est arrêtée en Allemagne, en vertu d’un des mandats d’arrêt lancés par Bruguière, alors qu’elle prépare une visite de Paul Kagame. Si le régime rwandais organise de grandes manifestations de protestation, il ne s’oppose pas au transfert de Rose Kabuye vers la France. Et la confrontation avec Marc Trévidic se passe plutôt bien, d’autant que le juge des Libertés s'oppose à sa mise en détention provisoire. Bientôt, le juge lève le mandat d’arrêt la concernant et l’autorise même à des allers-et-retour entre Paris et Kigali, entre deux interrogatoires.
L’accès au dossier pour les accusés
Jusqu’alors, les Rwandais visés par l'ordonnance Bruguière n’ont pas eu accès au dossier d’instruction. La mise en examen de Rose Kabuye permet à ses deux avocats, le Français Lev Forster et le Belge Bernard Maingain, de s’y plonger. Ils ne tardent pas à en relever les errements. Il semble que les deux juges chargés du dossier, Marc Trévidic et Nathalie Poux, soient à leur tour surpris et leur intime conviction ébranlée par un certain nombre d’anomalies, en particulier l’absence d’expertise balistique. En septembre 2010, Marc Trévidic se rend au Rwanda avec des experts en balistique sur les lieux de l’attentat. Il a l’occasion d’interroger longuement Richard Mugenzi, l’espion-radio des FAR qui aurait « intercepté » le message de revendication de l’attentat par le FPR. L’homme révèle qu’il s’agit d’un montage grossier, que les enquêteurs du juge Bruguière, supposés expérimentés, se sont laissés abuser par une manipulation. En juin 2010, un nouvel interrogatoire d’Abdul Ruzibiza à Stockholm - peu avant sa mort - laisse transparaître que l’accusateur numéro 1 du FPR est un mythomane impénitent.
L’interrogatoire des autres suspects
Si Rose Kabuye a obtenu une simple « mise en examen » qui a levé son mandat d’arrêt, ce n’est pas le cas des autres suspects. Ils doivent préalablement être entendus par les juges français. Mais où ? Les juges refusent de les écouter au Rwanda. A l’étranger, ils seraient immédiatement arrêtés. Finalement, une solution est négociée entre les magistrats français, les avocats Bernard Maingain et Jean-Marie Mbarushimana, et le gouvernement du Burundi. Celui-ci s’engage à ne pas mettre les mandats d’arrêt à exécution, et à trouver un local sécurisé pour les interrogatoires. L’ambassade de France se charge de trouver des interprètes de qualité.
D’où sont partis les missiles ?
Sur les huit suspects « recherchés », deux manquent à l’appel : Éric Hakizimana, l’un des tireurs présumés, et le général Kayumba Nyamwasa. Le premier est introuvable. Le second, en délicatesse avec le gouvernement rwandais, a fui en Afrique du Sud. Les autres sont longuement interrogés par Marc Trévidic et Nathalie Poux, en particulier le général James Kabarebe, actuel ministre de la Défense du Rwanda. A l’issue de ces auditions, les juges prononcent leur mise en examen, qui permet de lever les six mandats d’arrêt internationaux. C’en est apparemment fini de la crispation judiciaire. On n’attend plus que les expertises balistiques. Si elles concluaient que les tirs de missiles ne sont pas partis de la vallée de Masaka mais du camp Kanombe, fief de la Garde présidentielle du président Habyarimana, on s’acheminerait sans doute vers un non-lieu général. Et les investigations prendraient la direction opposée.
Jean-François DUPAQUIER

jeudi 16 décembre 2010

Présidentielles: du vide au trop plein

Le général de Gaule avait coutume de dire qu’après lui, ou contre lui, «ce ne serait pas le vide, mais le trop plein…[»
A un an des élections présidentielles, prévues à la fin de 2011, le président Joseph Kabila qui compte se représenter pourrait reprendre la formule à son compte. En effet, plusieurs candidatures ont déjà été annoncées, la plus notoire étant celle de Vital Kamerhe, l’ancien président de l’Assemblée nationale, qui a lancé sa nouvelle formation politique, «l’Union pour la nation congolaise» consommant ainsi sa rupture avec le chef de l’Etat et avec la majorité présidentielle. A l’heure actuelle, dénonçant la corruption du régime en reprenant une formule lancée naguère par Karel De Gucht «le poisson pourrit par la tête»«M. Kamerhe dit s’inspirer du président brésilien Lula et flirte avec toutes les tendances de l’opposition il a rendu visite à Jean-Pierre Bemba à la Haye, a été vu au congrès de l’UDPS, le parti de Tshisekedi et mise sur la popularité acquise en 2006, lorsqu’il menait campagne pour Kabila à travers le pays, confirmant dans les quatre langues du Congo, de réelles qualités d’orateur. A l’avenir, l’élu de Bukavu misera aussi sur le fait qu’il s’est toujours déclaré hostile aux accords conclus début 2009 avec le Rwanda et qui avaient mené à des opérations militaires communes destinées à déloger les rebelles hutus.
Cette semaine s’est également tenu à Kinshasa le congrès de l’UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social), un parti né au début des années 80. Ce congrès, qui se tient sous la houlette d’Etienne Tshisekedi, rentré au pays depuis une semaine, est le premier jamais organisé par l’ancienne «fille aînée de l’opposition».
Au-delà des querelles entre les diverses factions et membres de sa famille politique ou biologique, M. Tshisekedi compte annoncer officiellement à cette occasion sa candidature à l’élection présidentielle. Quant à M. Bemba, toujours détenu à La Haye par la Cour pénale internationale, il entend bien, selon ses partisans, faire acte de candidature à l’élection présidentielle, dans l’espoir, d’ici là, d’être libéré. Un candidat indépendant, le pasteur Jean-Paul Moka, qui se présente comme «]un homme d’affaires belgo-congolais», a déjà annoncé, lui aussi, son intention de concourir. Il promet de relancer l’action du «mouvement bleu» qui s’était déjà signalé en 2006 et dont les méthodes s’inspiraient du modèle de la célèbre «révolution orange» qui avait soufflé sur l’Ukraine à la fin de 2004.
Selon la presse congolaise, Mobutu Nzanga, le fils cadet du défunt président, dont le parti UDEMO (Union des démocrates mobutistes) fait partie de la majorité présidentielle, aurait lui aussi l’intention de se présenter ainsi qu’un autre des candidats de 2006, le Dr Kashala.
Si elle se confirme, cette pléthore de candidats devrait rendre improbable une victoire de Joseph Kabila au premier tour, alors que, voici quelques jours encore, les partisans du chef de l’Etat croyaient pouvoir réussir un tel pari. [

RDC : Tensions à Goma pour l'arrivée de Kamerhe

Après l'annonce de sa démission du PPRD et de sa candidature à la prochaine élection présidentielle de 2011 en République démocratique du Congo (RDC), Vital Kamerhe avait prévu un meeting à Goma. Des incidents ont rapidement éclaté entre partisans de Kamerhe et supporters du président Joseph Kabila.
carte RDC Afrikarabia Nord Kivu.jpgDe violents incidents ont émaillé le retour de Vital Kamerhe à Goma, dans la province dont il est originaire. Le maire de la ville n'avait en effet pas autorisé la manifestation et très vite, les esprits se sont échauffés, la police a tiré en l'air pour disperser partisans et opposants de l'ancien président de l'assemblée nationale congolaise. Un correspondant de l'Agence France Presse révèle également que le nouveau candidat à la présidentielle a également été empêché par la police et la garde républicaine de se rendre au gouvernorat du Nord-Kivu. Plusieurs manifestants pro-Kabila ont traité Vital Kamerhe de "traître"… il faut dire qu'avant de se brouiller avec le chef de l'Etat, Vital Kamerhe a été le directeur de campagne de Joseph Kabila lors des précédentes élections de 2006. Depuis hier, Kamerhe a créer son propre parti, l'UNC et a décidé de se présenter face à Joseph Kabila aux présidentielle de 2011.

RDC : Kinshasa, plus grande ville d'Afrique en 2020

Les Nations-Unies estiment que la capitale de République démocratique du Congo (RDC) accueillera 4 millions de nouveaux habitants dans les 10 prochaines années. En 2020, Kinshasa pourrait donc , avec plus de 12 millions d'habitants devenir la ville la plus peuplée d'Afrique. Pour l'ONU, ces chiffres sont une source d'inquiétude pour les les conditions de vie des futurs habitants de la mégapole congolaise.
DSC03944 copie.jpgSelon ce rapport de l'ONU Habitat, la croissance démographique la plus forte dans la décennie sera celle de Kinshasa qui regroupe déjà 13 % de la population du pays . Une ville qui a déjà du mal a gérer l'afflux de nombreux migrants en 2010.
Kinshasa abrite désormais de nombreux "quartiers informels", bidonvilles, taudis, toujours plus loin du centre-ville et des services minimums (routes, eau, école, électricité, santé… ). "L'urbanisation de la pauvreté est un développement dramatique sur le continent africain, car elle est génératrice de contrastes alarmants entre la richesse des quartiers d'affaires ou des zones résidentielles pour les couches sociales à revenus élevés, d'une part, et la masse des misérables croupissant dans de vastes taudis", rapporte le document.
"Totalement laissés pour compte, les Kinois vivent ainsi à 95 % de la débrouille et la majorité en dessous du seuil de pauvreté", selon l'ONU. L'afflux de nouvelles populations pauvres et rurales ne devrait malheureusement pas améliorer la vie quotidienne des Kinois dans les années à venir.

mercredi 15 décembre 2010

Massacres de Noël en RDC : L'appel des ONG entendu

Après l'appel lancé par 19 organisations humanitaires pour empêcher les rebelles de la LRA de commettre de nouveaux massacres à l'approche de Noël, l'ONU vient d'annoncer l'envoie de renforts de casques bleus dans le nord-est de la République démocratique du Congo (RDC). La mobilisation exceptionnelle de 19 ONG a donc fini par porté ses fruits sur le terrain.
L'ONU a décidé d'envoyer 900 Casques Bleus de la Monusco supplémentaires pour lutter l'Armée de résistance du Seigneur (LRA), responsable de nombreux massacres ces deux dernières années à l'approche des fêtes de Noël. "Forte des leçons apprises les années précédentes, la Monusco a renforcé ses positions dans les zones où les rebelles de la LRA opèrent" a confirmé le porte-parole de l'ONU.
L'opération de sécurisation se poursuivra sur le terrain jusqu'à la mi-janvier, notamment dans la zone de Dungu dans le nord-est de la RD Congo

lundi 13 décembre 2010

RWANDA : "6 millions de morts en RDC ? Extravagant !" selon Aldo Ayello

Les 9 et 10 décembre derniers se tenaient à Kigali une conférence internationale sur le génocide au Rwanda. Deux jours de travaux qui ont regroupé des chercheurs, des hommes politiques, des diplomates et des écrivains. Parmi eux, le diplomate italien Aldo Ayello, pour qui "l'extravagance du chiffre de 6 millions de morts au Congo devrait suffire à discréditer l'ensemble du pré-rapport "mapping" de l’ONU". Voici son interview réalisée à Kigali.
Capture d’écran 2010-12-12 à 21.37.19.pngEntre 1992 et 1994, le diplomate italien Aldo Ayello a été envoyé par les Nations Unies au Mozambique pour ramener la paix. Puis jusqu’en 2007 il a représenté l’Union européenne en Afrique centrale pour rapprocher les belligérants. Réputé excellent connaisseur de la région des Grands lacs, il porte un regard sévère sur le pré-rapport « mapping » du Haut commissariat aux droits de l’Homme de l’ONU sur les allégations de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, voire de « génocide » commis en République démocratique du Congo (ex-Zaïre) et dont la responsabilité incomberait essentiellement à l’Armée patriotique rwandaise. Quand au chiffre de 6 millions de victimes, il le qualifie de « tout simplement extravagant ».
Monsieur Aldo Ayello, vous vous trouvez en ce moment au Rwanda pour participer à un colloque organisé par la Commission nationale contre le génocide au sujet du « Mapping report » de la Commission des droits de l’Homme de l’ONU sur des allégations de crimes de guerre, voire de génocide au Congo entre 1996 et 1998. Ce rapport a fait grand bruit. Qu’en pensez-vous ?
Aldo AYELLO : - J'ai passé 15 ans en Afrique dont Tanzanie dans la région des Grands Lacs, j'en ai donc une expérience directe et je connais bien le contexte sur lequel le rapport de la commission de l'ONU fait une curieuse impasse. La sortie de ce rapport m'a profondément étonné. Pour ce que j'en ai lu, il contient beaucoup de contradictions et d'incohérences. Mais le pire est à mon avis la véritable amnésie qui semble toucher les auteurs du rapport sur le contexte des événements qu'ils prétendent décrire et analyser. Et le chiffre extravagant de victimes.
Que voulez-vous dire en parlant du contexte ?
Aldo AYELLO : - Il s'agit de la définition même du supposé "mapping". Pour comprendre et apprécier les événements qui se sont produits dans la région des Grands Lacs entre 1993 et 2003, il ne suffit pas de se fier à des témoins dont beaucoup semblent apporter des informations de deuxième ou de troisième main, mais aussi de comprendre l'ensemble du conflit, sa genèse, ses raisons profondes. Or le rapport ne le fait pas. Il ne définit pas le cadre, et d'abord le génocide. Je parle du vrai génocide, celui commis en 1994 au Rwanda contre les Tutsi. Le rapport de la commission de l'ONU ignore complètement cet événement décisif. Cette façon de mettre entre parenthèses le génocide des Tutsi et le massacre concomitant des Hutu démocrates empêche de comprendre ce qui s'est passé avant, pendant et après.
Avant ?
Aldo AYELLO : - Il est indispensable de se rappeler que le génocide de 1994 contre les Tutsi a été scientifiquement planifié. Comment les auteurs du rapport peuvent-ils oublier par exemple le témoignage et les télégrammes du général Roméo Dallaire, commandant en 1993 et 1994 la force des Nations unies (MINUAR) au Rwanda ? Les télégrammes étaient on ne peut plus précis, notamment celui du 11 janvier, et pointent la faillite de l'ONU à prévenir le génocide, jusqu'au lâche retrait de l'essentiel des effectifs de la MINUAR. C'est grâce au secrétaire général Boutros Boutros Ghali qu'une présence minimum a permis que la communauté internationale conserve un droit de regard sur ce qui se produisait. Peut-être que cette petite présence a sauvé quelques vies humaines. Peut-être a-t-elle dans certains cas, imposé un minimum de retenue aux auteurs du carnage. Je suis vraiment étonné que les auteurs du rapport fassent l'impasse sur tout ça. Et qu'ils oublient également que l'ONU a ensuite toléré que les camps de réfugiés - qui ont accueilli la population hutu obligée de fuir son pays sous la pression des génocidaires - puissent s'installer à quelques mètres seulement de la frontière du Rwanda. Voilà qu'elle a été l'origine des tragédies qui ont suivi.

Qu'aurait dû faire l'ONU après le génocide et l'exil forcé de millions de Rwandais ?

Aldo AYELLO : - Les règles internationales concernant l'accueil de populations réfugiées sont claires. Notamment, les camps doivent être installés à une grande distance de la frontière du pays quitté pour des raisons évidentes de sécurité. Or l'ONU a toléré que certains camps soient installés à quelques mètres seulement de la frontière du Rwanda. Ces camps étaient encadrés par les mêmes autorités qui venaient de diriger le génocide. L'ONU a toléré que les anciennes Forces armées rwandaises (FAR) puissent s'installer au milieu de ces réfugiés avec leurs armes et leurs munitions. L'ONU a toléré que les ex-FAR puissent se réorganiser et compléter leurs effectifs dans l'intention clairement affichée d'attaquer le Rwanda pour reprendre le pouvoir et, dans l'intervalle, de déstabiliser les autorités par une série d'incursions armées. Je rappelle que les organisations non-gouvernementales et le Haut-Commissariat aux réfugiés n'avaient pas le contrôle des camps. Qu’elles n’avaient même pas le droit d’y pénétrer pour recenser le chiffre réel de réfugiés. Que les autorités rwandaises en exil trichaient effrontément sur le nombre de réfugiés pour obtenir des stocks d'équipements et de rations alimentaires qu'elles revendaient à la population zaïroise pour se procurer davantage d'armes et de munitions. L'intention déclarée de ces gens était "de continuer le travail qui n'avait pas été terminé", c'est-à-dire de revenir au Rwanda pour parachever l'extermination des Tutsi.
Les auteurs du pré-rapport n'évoquent pas cette situation ?
Aldo AYELLO : - Précisément. J'ai cherché dans le rapport le rappel des causes de la crise que les rapporteurs prétendent expliquer et analyser. Je n'ai pas trouvé un seul paragraphe sérieux sur tout ça, rien sur la responsabilité de la communauté internationale qui a laissé violer ses propres règles en tolérant l’installation à la frontière du Rwanda des forces préparant la reconquête du pays en s'appuyant sur le financement des camps par le détournement massif de l’aide de la communauté internationale, notamment de l'Union européenne. Faut-il rappeler que le financement de cette population forcée à l'exil coûtait un million de dollars par jour, dont la moitié financée par l'Union européenne ? Quelques mois seulement après avoir fui le Rwanda, les ex-FAR avaient reconstitué leur effectif d'environ 50 000 militaires. Elles avaient réussi à transférer au Zaïre l'essentiel de leurs armes lourdes et de leurs véhicules ainsi que la plus grande partie de leurs armes légères. Elles ont racheté le reste aux militaires zaïrois avec l'argent pillé au Rwanda avant leur fuite et l'argent détourné des budgets destinés à l'aide aux réfugiés.
Pour reprendre la guerre perdue en juillet 1994 ?
Aldo AYELLO : - En 1995 et 1996, le Rwanda était soumis à des incursions armées et à des attaques pratiquement quotidiennes. Il ne se passait pas de semaine sans que des rescapés soient assassinés par des commandos venus du Zaïre. Je rappelle que la route stratégique entre Kigali et Gisenyi, à la frontière du Zaïre, était fréquemment minée. L'insécurité était telle qu'on ne pouvait plus l'emprunter la nuit, et le jour, il fallait organiser des cortèges de véhicules, escortés par de puissants effectifs militaires.
Comment les auteurs du pré-rapport ont-ils pu faire l'impasse sur cette situation ?
Aldo AYELLO : - C'est bien le problème. Entre 1994 et 1996, le Rwanda était un pays assiégé, et l'inconséquence, l'incohérence, la lâcheté de la communauté internationale contribuaient très lourdement à cette situation. Les autorités de l’ex-gouvernement « intérimaire » qui avaient préparé puis encadré le génocide voulaient imposer une négociation au gouvernement rwandais pour partager le pouvoir en faisant l'impasse sur l'épouvantable carnage qu'ils avaient provoqué. À cette époque, j'ai rencontré à plusieurs reprises le président du Rwanda Pasteur Bizimungu et le vice-président et ministre de la défense Paul Kagamé. Tous deux se plaignaient amèrement de l'incurie de l'ONU qui laissait se préparer une nouvelle tragédie.
Que disaient-ils précisément ?
Aldo AYELLO : - À plusieurs reprises, Paul Kagamé m'a dit : "Il faut que l'ONU permette aux Rwandais pris en otage par les génocidaires de revenir dans leur pays, sinon nous serons forcés de le faire nous-mêmes." J'ai rapporté ses paroles à mes interlocuteurs de l'ONU, mais ils n'en ont pas tenu compte. Aucun pays européen n'était prêt à envoyer des militaires dans les camps de réfugiés pour soustraire la population à la terreur de l’encadrement génocidaire. Personne ne voulait s'occuper de rétablir des règles normales en matière d'accueil et d'administration des populations réfugiées. Personne n'était prêt à consacrer des ressources pour déplacer les camps ou pour protéger les Rwandais qui voulaient rentrer dans leur pays et qui était assassinés par les forces génocidaires dès qu'ils en manifestaient l'intention. Je conserve un souvenir précis des demandes des autorités de Kigali, répétées mille fois, de concourir au rétablissement d'une situation normale en matière de réfugiés. Il est étrange que ce problème qui a dominé la scène politique rwandaise pendant les années 1994 à 1996 ait été complètement ignoré par les auteurs du rapport de la commission de l'ONU.
Comment cela est-il possible ?
Aldo AYELLO : - Je me pose la question. Je n'étais pas le seul à qui le président de la République du Rwanda et son vice-président posait le problème. Tous les représentants des gouvernements étrangers qui rencontraient les nouvelles autorités du Rwanda entendaient le même refrain. La question a été la base des négociations de Lusaka. J'entends encore les réponses de certaines autorités gouvernementales occidentales : « Ce serait trop risqué, trop dangereux, trop coûteux ». Comment pouvaient-ils présenter de tels arguments alors que le coût du maintien des camps de réfugiés était d'un million de dollars par jour !
C'était la volonté politique qui manquait ?
Aldo AYELLO : - Exactement. L'opération aurait incombé à des militaires des pays développés qui ne voulaient pas s'engager. J'entends encore Paul Kagamé, qui était alors vice-président de la république me dire : « Si les occidentaux ne veulent pas rétablir l'ordre dans les camps, empêcher les ex=FAR de préparer une attaque armée générale contre le Rwanda et faciliter le retour des réfugiés, alors nous serons obligés de le faire nous-mêmes. » J'ai relayé ces propos aux responsables de l'Union européenne, à des hauts responsables des États-Unis, à toute une série de membres de la communauté internationale. Je me suis heurté à une fin de non recevoir.
Considérez-vous que l'attaque menée par l'armée patriotique rwandaise et les troupes de Kabila à la fin de 1996 constituait un acte de légitime défense ?
Aldo AYELLO : - Appelons les choses par leur nom. L'accueil complaisant par les autorités du Zaïre des responsables du génocide, l'autorisation qu'il aura été donnée de reconstituer une force armée considérable, à se fournir en armes et munitions, la tolérance dont ils ont bénéficié pour terroriser les camps de réfugiés, et enfin la préparation d'une attaque générale contre le Rwanda qui était prévue au tout début 1997, tout ceci a entraîné un acte de légitime défense des autorités du Rwanda.
Car si l'armée patriotique rwandaise n'avait pas attaqué fin 1996, peut-être qu'elle n'aurait pas résisté à l'invasion armée massive qui était programmée par les ex-FAR quelques semaines plus tard, et le génocide aurait été parachevé.
Que pensez-vous des observations du rapport de l'ONU qui laisse entendre que des actes de génocide contre les Hutu auraient été commis au Zaïre par l'APR et les forces de Kabila ?
Aldo AYELLO : - Parler de génocide commis au Zaïre contre les réfugiés rwandais demande beaucoup d'imagination et de fantaisie. Je vous renvoie à l'article 6 du traité de Rome, ce qu'on appelle la convention sur le génocide. Il s'agit "d'actes commis dans l'intention de détruire en totalité ou en partie un groupe national, ethnique, religieux, etc.". À la suite de l'attaque du Zaïre fin 1996, les autorités rwandaises ont créé un couloir humanitaire qui a permis de rapatrier au Rwanda des millions de personnes libérées de l'étreinte de la terreur dans les camps. Ces gens n’ont pas été exterminés, mais bien au contraire protégés. Il s'agissait encore une fois d'un acte de légitime défense de la part d'un pays assiégé et en faveur de millions de réfugiés soumis à la propagande qui avait conduit au génocide, et dont la plupart se félicitaient de pouvoir rentrer dans leur propre pays sous la protection de l'APR.
Mais d’autres réfugiés se sont enfuis… ?
Aldo AYELLO : - Je n'ignore pas que des centaines de milliers de réfugiés ont été repoussées plus profondément dans le territoire zaïrois sous l’effet de la panique ou sous la contrainte des militaires des ex-FAR qui s'en servait comme d'un bouclier humain. Dans la plupart des cas, même lorsque ces réfugiés avaient parcouru à pied des centaines de kilomètres à l'intérieur du Zaïre jusqu'à Tingi=Tingi ou Kisangani, ils ont pu être ramenés au Rwanda. Dans d'autres cas, il y a eu des pertes humaines, notamment lorsque ces réfugiés ont été utilisés comme boucliers humains par les ex=FAR et les forces armées zaïroises qui leur apportaient leur concours pour tenter d'éviter la défaite. Que des dizaines de milliers de réfugiés aient perdu la vie dans ces terribles circonstances, du fait que des combats, de la maladie, de l'épuisement, voir de « dommages collatéraux », est une évidence. Citer le chiffre de 6 millions de victimes provoquées par l'armée patriotique rwandaise et les autres pays qui ont participé aux opérations militaires dans le Zaïre jusqu'à la chute de Mobutu est tout simplement extravagant et devrait suffire à discréditer l'ensemble du rapport.
Pourquoi ce chiffre qui est répété à l’envie sur la « Toile » ?
Aldo AYELLO : - Il ne repose sur rien de concret. On voit bien l’effet de propagande qui est recherché. Il s'agit d'atteindre un chiffre comparable au nombre des Juifs exterminés par les nazis, pour attirer l'attention de l'opinion publique internationale, jouer sur le registre de l'émotion, de l'indignation, de la passion. Ou pire encore, souffler sur les braises de la haine. Encore une fois, tout ceci n'a rien à voir avec la réalité.
Propos recueillis à Kigali par François MOLYNEUX

dimanche 12 décembre 2010

RDC : Monsengwo, un cardinal très politique

Et si le nouveau phénomène politique de cette fin d'année était… un homme d'église ? En ce mois de décembre, on attendait le retour de Tshisekedi, de discours sur l'état de la nation de Kabila, le démarrage du procès Bemba… mais le hasard du calendrier a fait entrer un nouveau venu sur la scène politique congolaise : le cardinal Laurent Monsengwo. Et pour sa première messe, le nouvel archevêque de Kinshasa a choisi un ton résolument politique. A moins d'un an des élections présidentielles en République démocratique du Congo (RDC), il faudra désormais compter avec ce nouvel acteur politique congolais.
Capture d’écran 2010-12-11 à 22.37.00.pngFraîchement débarqué de Rome le 1er décembre dernier, le cardinal Monsengwo, fait une irruption très remarquée dans l'arène politique congolaise et embarrasse déjà les autorités de Kinshasa. Lors de sa messe d’accueil en tant que nouveau cardinal, l’archevêque de Kinshasa a invité tous les belligérants dans l’Est du pays à cesser les combats. Laurent Monsengwo, souhaite que les milices « déposent les armes et fasse la paix dans la justice et la réconciliation ». Des mots du cardinal Laurent Monsengwo, qui ont fortement résonné dans le stade des Martyrs, devant plus de 80 000 personnes.
« Point n’est besoin de tuer tant d’hommes et de femmes. Point n’est besoin de tant de violences innommables pour se faire de l’argent. C’est de l’argent criminel », a scandé le cardinal Monsengwo. Des paroles de paix très classiques pour un homme d'église, mais lorsque le nouvel évêque de Kinshasa déclare : « le pouvoir qui ne s’occupe pas du bien commun est un pouvoir sans objet »… certains regards se sont tournés vers le chef de l'état, Joseph Kabila, déjà en campagne pour sa réélection en 2011. Cette interpellation très politique à destination de la classe politique congolaise, a fait grand bruit à Kinshasa… un discours particulièrement apprécié par la population congolaise.
Dans son homélie, Laurent Monsengwo a parlé d'unité, de paix, de vérité, de justice et de réconciliation pour tous… un message qui prend une résonance particulière, un an avant un scrutin électoral décisif pour la RD Congo. Une chose est sûre : il faudra désormais compter avec une nouvelle personnalité politique à Kinshasa, en la personne du cardinal Laurent Monsengwo.

vendredi 10 décembre 2010

Rwanda : le président Kagame reçoit le prix de la paix mondiale

Le président du Rwanda Paul Kagame a reçu jeudi 9 décembre le prix de la paix mondiale qui lui a été remis par Mohamed Ali, président de la Fondation pour la paix mondiale et l’unité, au cours d’une réception à l’hôtel Serena de Kigali.

Capture d’écran 2010-12-10 à 07.27.31.pngCe prix lui avait été officiellement attribué à Londres, siège de la Fondation, le 23 octobre 2010. Depuis cinq ans, la Fondation pour la paix et l'unité récompense les acteurs de la société civile qui font le plus pour construire une bonne entente entre communautés, notamment interconfessionnelles. Cette initiative a été prise par la Communauté musulmane britannique lors de sa cinquième session, tenue à Londres. Parmi les critères de choix, la communauté musulmane retient non seulement celui ou celle qui a fait le plus pour une bonne intégration des communautés religieuses dans la cité, mais aussi « la promotion du caractère sacré de la vie » et la capacité à promouvoir le dialogue.

Pour la cérémonie, le président Kagame était entouré du mufti du Rwanda, le cheik Saleh Habimana, de plusieurs évêques catholiques et protestants et de nombreux acteurs de la vie civile. Mohamed Ali a vivement félicité le président rwandais pour la façon dont il a reconstruit le pays après le génocide des Tutsi de 1994. Il a insisté sur le rôle du Président dans l'arrêt du génocide de 1994 contre les Tutsi et la reconstruction du pays dans un pays plus harmonieux, stable et prospère qui est devenu un modèle pour l'Afrique et une source d'inspiration à d'autres pays sortant d'un conflit. Paul Kagame a répondu qu’il restait beaucoup à faire et souligné que l’avenir du Rwanda dépendait des Rwandais et d’eux seuls.

jeudi 2 décembre 2010

Le secteur minier du Kivu est à l’arrêt

Goma et Walikale

Les hommes d’affaires de Goma et de Bukavu n’en finissent pas de se lamenter depuis que le 6 septembre dernier, les conviant à un dîner à l’hôtel Ihusi de Goma, le président Kabila leur annonça tout de go que la commercialisation des produits miniers était suspendue jusqu’à nouvel ordre, et que les stocks déjà constitués devaient être placés sous scellés. «Cela nous permettra d’y voir plus clair, de mettre un peu d’ordre dans ce secteur » avait-il conclu.
Depuis lors, tous les comptoirs offrent le même spectacle que la parcelle de Metalchem à Goma : seuls des gardiens et des jardiniers empêchent la végétation de reprendre ses droits autour des containers verrouillés ; les broyeuses, les séchoirs sont à l’arrêt, les installations électriques déconnectées. « Chaque container contient du minerai, coltan ou cassitérite, pour une valeur de 250 à 280.000 dollars » explique le patron de Metalchem, John Kanyoni qui est aussi le vice président local de la FEC, la Fédération des entreprises du Congo. Dans la seule province du Nord Kivu, les stocks bloqués représentent une valeur de 20 millions de dollars. Deux banques de la place, qui avaient avancé des capitaux aux négociants, sont au bord de la faillite et au Nord comme au Sud Kivu, le commerce fonctionne au ralenti, l’argent ne circule plus.
« Avec les devises apportées par les ONG internationales, le secteur minier était le principal moteur de l’économie du Nord Kivu » poursuit Kanyoni. « L’interdiction de la commercialisation affecte tous les secteurs : le commerce de détail, les assurances, le transport… Les recettes fiscales de la province sont en chute libre. » L’homme d’affaires reconnaît cependant que si le secteur minier payait deux millions de dollars par mois au titre d’impôts et de taxes, la moitié seulement de cette somme rentrait dans les caisses de l’Etat, l’autre partie s’évaporait sur les barrières dressées par les militaires et dans des ponctions diverses…
Le Mwami Alexandre Bamongo, l’un des chefs coutumiers de Walikale, confirme que dans son fief, la situation est dramatique : « la révolte gronde car il est interdit aux creuseurs de se rendre sur les carrés miniers. Or, vu le manque de routes qui permettraient d’écouler les produits agricoles, l’absence d’écoles, il n’y a pas d’autres débouchés pour les jeunes… »
Walikale… Sur la route de Kisangani, accessible uniquement par voie aérienne (les appareils se posent sur un lambeau de route), la petite ville au milieu de la forêt a longtemps fait figure d’enfer ou d’Eldorado. Pour tous ceux qui voulaient tenter leur chance dans les mines, c’était la terre promise, délivrant aux creuseurs le coltan, la cassitérite, l’or, les diamants. Des milliers de Hutus en cavale, d’anciens enfants soldats démobilisés s’y sont reconvertis en creuseurs.
Jusqu’en septembre dernier, on ne comptait pas moins de quinze à trente rotations aériennes par jour ; les petits porteurs amenaient dans la ville des produits de première nécessité, la viande et la bière, les légumes et les vêtements sans oublier la bimbeloterie chinoise, et ils repartaient chargés de produits miniers qui prenaient la direction des comptoirs de Goma et de Bukavu.
A chaque rotation, les pilotes payaient 1000 dollars au titre de taxes : « Walikale assurait 60% des recettes fiscales de la province » précise le chef coutumier.
Aujourd’hui ce Far West vit au ralenti, la colère gronde parmi les commerçants privés de marchandises et de clients tandis que les creuseurs interdits d’accès aux carrés miniers songent à reprendre les armes, un business qui continue à être lucratif : le groupe dirigé par un certain Cheka n’a pas hésité à s’emparer d’un équipage indien de la Monusco et l’a sans doute relâché moyennant discrète rançon…. L’abbé Arsène, qui fut le principal négociateur de cette libération, assure que Cheka et ses hommes étaient révoltés : « chassés des carrières, ils n’arrivent plus à vivre. » Mais il y a pire : Cheka a reconnu que ses hommes étaient responsables des viols massifs commis à Luvungi, où en septembre plus de 300 femmes ont été attaquées. « C’était une manière d’attirer sur eux l’attention de la communauté internationale, puisque désormais c’est des viols que l’on parle, plus que des tueries… »
Cependant les mines de Walikale sont loin d’être à l’arrêt : la nuit, les creuseurs y retournent comme des fourmis et surtout les militaires qui en contrôlent l’accès continuent à y envoyer des civils : « c’est une sorte de salongo, de travail obligatoire, on doit creuser pour eux durant deux jours par semaine » dit le chef coutumier.
A Goma, un officier issu des rangs du mouvement rebelle de Nkunda, nous confie :« pour les militaires, rien n’est plus facile que contourner l’embargo : ils chargent le coltan dans leurs camions, passent la frontière rwandaise et se font payer à raison d’un dollar le kilo. Cinq tonnes de coltan envoyés vers le Rwanda, cela rapporte 5000 dollars…Nous n’avons même plus la concurrence des civils… »
Cette semaine, une délégation de plusieurs généraux, venus de Kinshasa, a été envoyée à Walikale par le président Kabila : « une sorte de tournée d’inspection » explique l’un d’entre eux, « il faut remettre de l’ordre dans la filière »
Cette sollicitude soudaine fait sourire nos interlocuteurs de la société civile : «tout le monde sait que c’est le général Amisi, dit Tango Four, chef des Forces terrestres, qui exploite la principale des mines, du côté de Bisié, que les troupes de Nkunda, intégrées dans les forces gouvernementales ont pris le contrôle des mines. Il suffirait de les arrêter ou de les muter ailleurs dans le pays… »

Alors que le Kivu fut son bastion électoral, où il remporta plus de 90% des voix, la popularité du président Kabila est en chute libre, l’embargo sur la commercialisation des minerais, une décision prise à la hâte, sans mesure d’accompagnement, est unanimement critiqué. Comment expliquer cette sorte de coup de poing sur la table ? D’aucuns avancent qu’une société russe se verra bientôt confier toute l’exploitation minière de Walikale et que les creuseurs seront invités à se reconvertir dans l’agriculture.
Mais pour John Kanyoni, la réponse est à chercher du côté de Washington : « sous la pression d’un lobby puissant, animé par des groupes miniers canadiens et américains, le Congrès a voté en juillet dernier la loi Dodd-Frank donnant moins d’un an au secteur minier congolais pour se mettre en ordre et répondre aux exigences de traçabilité. Faute de quoi, les minerais venant de RDC et aussi de tous les pays voisins (soit un tiers de l’Afrique) seront tout simplement interdits aux Etats unis.
Cette mesure semble inspirée par le souci de bannir les « minerais de sang » ; en réalité, la mise hors la loi du tantale congolais provoquera la hausse des cours mondiaux, qui passeront de 40 à plus de 100 dollars la livre. Une aubaine pour des mines canadiennes ou australiennes, qui redeviendront rentables en assurant à leurs acheteurs qu’elles proposent du minerai plus cher certes, mais « propre »… »

RDC : 1 congolais et 3 FDLR sur la "liste noire" de l'ONU

Un officier supérieur de l'armée de République démocratique du Congo (RDC) et trois hauts gradés de la rébellion hutue (FDLR) viennent d'être placés sur la "liste noire" de l'ONU. L'officier de l'armée congolaise est un ancien rebelle du CNDP, Innocent Zimurinda . Pour ces 4 personnes les sanctions sont immédiates : gels des avoirs et interdictions de voyager.
Image 6.pngLe lieutenant-colonel Innocent Zimurinda est avec 3 autres rebelles hutus dans le collimateur des Nations-Unies. Cet ancien officier du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), intégré aux Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) au début de 2009 après les accord de paix figure désormais sur la "liste noire" de l'ONU.
D'après le document onusien, le lieutenant-colonel Innocent Zimurinda "a donné des ordres qui sont à l’origine du massacre de plus de 100 réfugiés rwandais, principalement des femmes et des enfants, au cours d’une opération militaire qui s’est déroulée en avril 2009 dans la région de Shalio". Selon le Groupe d’experts du Comité des sanctions du Conseil de sécurité concernant la République démocratique du Congo, des témoins ont vu le lieutenant-colonel Innocent Zimurinda refuser de libérer trois enfants qui se trouvaient sous son commandement à Kalehe, le 29 août 2009. Enfin, le lieutenant-colonel Innocent Zimurinda a participé en novembre 2008 à une opération qui est à l’origine du massacre de 89 civils, dont des femmes et des enfants, dans la région de Kiwanja.

Trois membres de la rébellion hutue des FDLR ont été également placé sur cette "liste noire" :
- Gaston Iyamuremye : second Vice-Président des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Ce général de brigade est considéré comme étant un membre essentiel de la direction militaire et politique des FDLR. Gaston Iyamuremye a également dirigé le cabinet d’Ignace Murwanashyaka (Président des FDLR) à Kibua (RDC) jusqu’à décembre 2009.
- Félicien Nsanzubukire : commandant du 1er bataillon des FDLR. Il est membre des FDLR depuis au moins 1994 et opère dans l’Est de la RDC depuis octobre 1998. Le Groupe d’experts du Comité des sanctions du Conseil de sécurité concernant la République démocratique du Congo indique que Félicien Nsanzubukire a supervisé et coordonné le trafic de munitions et d’armes entre novembre 2008 et avril 2009, au moins, depuis la République-Unie de Tanzanie, via le lac Tanganyika, et à destination des unités des FDLR basées dans les régions d’Uvira et de Fizi au Sud-Kivu.
- Leodomir Mugaragu : chef d’état-major des FDLR/FOCA. Général de brigade de la rébellion est, selon l'ONU, l’un des principaux planificateurs des opérations militaires des FDLR dans l’est de la RDC.

mercredi 1 décembre 2010

RDC : L'armée congolaise facteur d'instabilité

Une armée régulière accusée par l'ONU d'aggraver l'insécurité dans le pays, c'est la situation ubuesque dans laquelle se trouve la République démocratique du Congo (RDC). Un rapport onusien vient en effet de faire état de réseaux criminels au sein de l’armée congolaise (FARDC).
Image 3.pngDans un précédent article publié sur afrikarabia.com, nous avions dénoncé les "fauteurs de guerre" qui, depuis plus de 10 ans, sont responsables de la guerre sans fin qui secoue l'Est de la RD Congo. Au premier rang des responsables du conflit, de multiples mouvements rebelles soutenus par le Rwanda ou l'Ouganda mais aussi le pouvoir congolais lui-même, incapable d'assurer la sécurité de son territoire et coupable d'exactions sur les populations civiles. Des exactions commises par l'armée régulière (FARDC) et dénoncées par un récent rapport de l'ONU.
Pour les Nations-Unies, des réseaux criminels au sein de l'armée de la République démocratique du Congo (FARDC) aggravent l'insécurité dans le pays en se livrent à la contrebande, au braconnage et à l'exploitation illégale des ressources minières, notamment de l'or.
Ce groupe de cinq experts de l'ONU ont constaté une "insubordination omniprésente" dans les rangs de l'armée gouvernementale. Ils accusent en particulier plusieurs officiers, pour la plupart d'anciens rebelles tutsis du CNDP (Congrès national pour la défense du peuple), incorporés dans l'armée après un accord de paix conclu en 2009. "Des officiers, à différents niveaux de la hiérarchie des FARDC, se disputent le contrôle de zones riches en minerais, aux dépens de la population civile", note le rapport.
Juste des rumeurs ?
Le porte-parole des FARDC dans l'Est du pays, le commandant Sylvain Ekengé, s'est interrogé sur la crédibilité de ce rapport. "Ils se présentent comme des experts mais ils se fondent sur des rumeurs" et de contre-attaquer : "il n'y a aucun CNDP dans les FARDC aujourd'hui (sic) nous ne sommes pas une institution politique". Pourtant de nombreux membres de la rébellion tutsi ont intégré l'armée régulière lors de "brassages" depuis l'accord de paix de Goma !
Les experts notent enfin que les anciens rebelles sont mal intégrés à l'armée, sous le commandement de l'ex-rebelle Bosco Ntaganda qui est accusé de crimes de guerre.
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