mercredi 13 mai 2009

Les Chinois reconstruisent Kinshasa | le carnet de Colette Braeckman

posté le 12 mai 2009 | catégorie actualité

A Kinshasa, durant des décennies, le temps semblait s’être arrêté. Kin la belle devenue Kin poubelle s’enfonçait dans la crasse, les ornières devenaient de véritables gouffres, les maisons coloniales lavées par les pluies pourrissaient à l’ombre d’arbres centenaires que seuls les orages s’avisaient de déraciner…Cette fois, le temps s’est mis à galoper, la ville est comme un géant qui se redresse en faisant craquer ses jointures. Les visiteurs de passage sont évidemment frappés par la transformation du boulevard du 30 juin, cette épine dorsale qui risque désormais de couper la ville en deux : plusieurs rond points ont été gommés, les statues érigées par les Kabila père et fils attendent des temps meilleurs sur les bas côtés, la berme centrale sur laquelle se juchaient mendiants ou vendeurs de journaux a été effacée. Sur quelques kilomètres le boulevard a pris la taille d’une autoroute à quatre bandes. A ceci près que les bandes ne sont pas encore tracées et que les voitures accélèrent brusquement pour se lancer dans des courses poursuite sans se soucier des piétons éperdus…
Dès l’aube, les équipes sont au travail : des ouvriers congolais, dirigés par de petits hommes en chapeau de paille s’affairent à nettoyer les caniveaux, à nettoyer les bas côtés, à couper les grands arbres qui offraient leur ombre aux piétons en attente d’hypothétiques transports. Face au saccage, on nous rassure : ces arbres trop vieux représentaient un danger pour la circulation, et d’autres plantations sont prévues par la municipalité.
Partout dans la ville, les chantiers se multiplient : la puissante société chinoise CREC (China railway engineering Company) a déployé ses engins sur plusieurs grands axes, sur l’avenue du Tourisme qui longe le fleuve jusqu’au début des rapides, dans le quartier du camp Kokolo, du Mont Ngaliéma, du côté de Chanimétal. Partout, le spectacle est le même : des bennes, des excavatrices, des bull géants sont en action. De caniveaux sont curés ou creusés, des érosions sont enrayées, des fondations de pierre ou de brique sont jetées sur lesquelles sera coulé le bitume. Célio, qui nous fait visiter la ville, s’émerveille devant l’ampleur des moyens mis en œuvre par les partenaires chinois, par leur célérité et souligne que la main d’œuvre congolaise est largement sollicitée et correctement payée…
L’heure étant à la reconstruction, les privés ne sont pas en reste : puisque le ciment a été libéralisé et que désormais on le trouve en abondance, tous ceux qui en avaient les moyens se sont lancés dans l’immobilier. Dans le quartier résidentiel de la Gombe, de nouveaux immeubles sortent du sol, encore entourés de fers à béton, des banques s’installent sur le boulevard et leurs distributeurs automatiques font désormais concurrence au mamans installées sur les trottoirs ; la nouvelle bourgeoisie du régime, qui dédaigne Ma Campagne ou Binza, les fiefs des mobutistes d’hier, se taille désormais des lotissements sur mesure comme Belle Vue ou le Cinquantenaire.
Discrets, efficaces, les Chinois ne sont pas seulement actifs dans les grands projets. On les retrouve aussi dans les quartiers populaires : à Yolo Nord, la famille Minh a ouvert une boutique où, pour quelques dollars, on peut acheter radios, portables, jouets pour enfants, lampes de salon, chaussures à la mode, des produits de consommation qui donnent une illusion d’abondance mais restent à la portée des bourses modestes… « Ces Chinois sont bien acceptés » relève Célio, « ils vivent avec nous, ont appris le lingala plus vite que le français et fait leur place dans la cité… » Tous ne partagent cependant pas cet enthousiasme. Espérance relève qu’elle a déjà du racheter quatre fois un nouveau four à micro ondes et se jure bien que la prochaine fois elle ne se laissera plus séduire par les articles trop bon marché proposés par les Chinois, des femmes se plaignent de la nouvelle concurrence que représentent les « petits Chinois » qui vendent le pain et les légumes mieux que les Congolais eux-mêmes.
Incontestablement, Kinshasa se réveille, bouge, se redresse. Ici Célio montre le carrefour par où passera le ring qui contournera la ville pour gagner l’aéroport. Là, en soulignant que « l’autorité de l’Etat se manifeste enfin » il explique que des constructions illégales ont été détruites pour faire place à l’agrandissement d’un hôpital, il nous montre devant l’antique gare coloniale les fondements du futur hôtel Rakeen qui brillera de tous ses feux, et désigne des carcasses inachevées dont les squatters ont été chassés impitoyablement.
Tout le monde ne se réjouit cependant pas de la frénésie immobilière : profitant de la faiblesse des autorités judiciaires, les nouveaux riches se taillent des passe droits et expulsent sans pitié ceux les gèneurs, tandis que les « déguerpis », chassés sans indemnisation, se comptent par centaines.
Ce long week end du premier mai, une dizaine de prêtres barnabites l’ont passé à la belle étoile : ils ont du évacuer et vider en toute hâte la grande maison qu’ils avaient acheté voici cinq ans dans le quartier de Limete à côté du siège de l’UDPS le parti de Tshisekedi et transformée en couvent. Alors que canapés, matelas, armoires, bureaux sont entassés sur la pelouse d’en face, à la merci de la convoitise des « chegues » (les enfants des rues), le père Fabien estime qu’il a été victime d’un véritable déni de justice : « le demi frère de l’ancien propriétaire qui nous avait vendu la maison en bonne et due forme a contesté la vente, cinq ans après, porté l’affaire devant un nouveau tribunal et sans même attendre l’issue de l’appel, qui doit être prononcé lundi prochain, il nous a fait déguerpir. » L’avocat des prêtres expropriés souligne, avec amertume, que « derrière cette affaire, il y a des « grands » du régime, un député du parti PPRD, deux directeurs de cabinet… Ils veulent transformer cette maison en hôtel, rien ne les arrête… »
Même si les fauves ont changé de pelage politique, Kinshasa reste toujours une jungle…

Les Chinois reconstruisent Kinshasa | le carnet de Colette Braeckman

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