Depuis le 31 décembre, l’hôpital de Panzi (Sud Kivu) dirigé par le
Dr Mukwege est en crise : les 500 membres du personnel n’ont pu être
payés parce que les réserves financières de l’institution, après avoir
été bloquées, ont été versés par la banque BCDC au Trésor public, la
Division générale des impôts exigeant le versement immédiat
d’une somme de 47.865 dollars.
1. Quel est le statut de l’hôpital de Panzi ?
L’institution créée en 1999 par la 8eme CEPAC (Communauté chrétienne des
églises du Christ au Congo) possède le statut d’hôpital de référence
pour la zone de santé d’Ibanda, au Sud de Bukavu. Au titre de
médecin-chef, le Docteur Denis Mukwege, est donc un agent de l’Etat
congolais, comme les autres membres du personnel. Au fil des années,
Panzi s’est spécialisé dans l’accueil, le traitement médical et le suivi
psycho-social des femmes victimes de violences sexuelles : 40.000
d’entre elles ont bénéficié des opérations, parfois très délicates, des
soins et des secours matériels proposés par l’hôpital.
2. Quelles sont les ressources de Panzi ? Soixante pour cent des
patients (femmes, malades du Sida, indigents) étant insolvables et
soignés gratuitement l’essentiel des ressources de l’hôpital vient de
contributions extérieures, coopérations étrangères ou dons. Ces apports
permettent non seulement de fournir des soins de qualité auxquels
s’ajoute un volet social, mais ils permettent de payer des primes qui
s’ajoutent au salaire officiel du personnel, où un médecin perçoit 70
dollars par mois. A noter qu’une telle pratique existe dans
l’enseignement aussi, où les versements réclamés aux parents permettent
de payer des primes aux enseignants. Jusqu’à présent, dans aucun secteur
de la fonction publique, ces primes ne sont taxées.
Grâce aux plaidoyers internationaux du Dr Mukwege, les soutiens
extérieurs se sont multipliés et de nombreux prix ont permis le
développement de la « Fondation Panzi », qui assure un soutien
psychologique et matériel aux femmes victimes de violences.
Régulièrement audité par les bailleurs (Banque Mondiale, Union
européenne..) qui vérifient la régularité des comptes, Panzi est devenu
une référence médicale dans la région, au même titre que l’hôpital Heal
Africa à Goma.
2. Quelle est la crise survenue fin décembre 2014 ?
Le personnel de l’hôpital de Panzi, le 31 décembre, a mené un « sit-in »
devant le siège de la Division générale des impôts à Bukavu, afin de
protester contre le non paiement des salaires, du au fait que les
comptes de l’hôpital ont été vidés avec la complicité du siège local de
la banque BCDC. Cette saisie n’est que l’un des éléments d’un
recouvrement plus large, la DGI estimant que les impôts dus, depuis
2012, avec effet rétroactif, s’élèvent à un total de 600.000 dollars.
Depuis deux ans en effet, une loi impose à toutes les structures
travaillant pour l’Etat de s’acquitter d’un impôt portant sur les
salaires du personnel. Cependant, tous les hôpitaux de référence du pays
en ont été dispensés jusqu’à présent. Panzi considère comme
discriminatoire le fait d’être le seul hôpital à devoir s’acquitter de
cette taxe qui porte non seulement sur les salaires officiels mais aussi
sur les primes rendues possibles par des contributions extérieures.
3. La taxation de l’hôpital de Panzi a-t-elle un aspect politique ?
Les nombreux prix remportés par le Docteur Mukwege suscitent bien des
jalousies : les uns s’inquiètent de sa notoriété croissante, d’autres
s’interrogent à propos de la destination donnée aux fonds reçus par le
médecin-chef de Panzi. La réalité est cependant très simple : le docteur
Mukwege est rémunéré comme un agent de l’Etat congolais, tandis que les
prix et récompenses qu’il reçoit servent à financer la Fondation Panzi,
une fondation privée, dont les comptes sont régulièrement audités.
Les actions de la Fondation Panzi sont multiples : création de cliniques
mobiles soignant les malades dans les régions reculées, de cliniques
juridiques assurant la défense juridique des victimes, actions psycho
sociales visant à réhabiliter les femmes sur le plan psychologique et
matériel, campagnes d’opérations destinées à opérer les femmes souffrant
de fistules vésico vaginales.
La « rage taxatoire » actuelle pourrait avoir un soubassement politique,
depuis que les plaidoyers menés par le Dr Mukwege ont fait de lui le
lauréat du prix Sakharov 2014 et un possible candidat au prix Nobel de
la paix.
Mais surtout, le Docteur Mukwege s’est aventuré sur un terrain glissant :
dénonçant l’impuissance de la communauté internationale, il a aussi
critiqué l’autorité congolaise, estimant qu’elle était incapable de
protéger efficacement les populations civiles. Estimant qu’il avait le
droit de s’exprimer en tant que simple citoyen, le médecin-chef de Panzi
a aussi critiqué les projets de modification de la Constitution et, sa
notoriété aidant, il est devenu, presque malgré lui, un leader
d’opinion, ce qui l’a exposé aux suspicions du pouvoir et au zèle des «
petits chefs »…
Dans l’immédiat, le personnel de Panzi, lui, craint de ne plus pouvoir
assurer les soins aux malades, acheter des médicaments et poursuivre le
fonctionnement normal d’un hôpital où les femmes de la région retrouvent
force et espoir…
Article de : Le carnet de Colette Braeckman