Calme précaire en RDC après l'adoption de la loi électorale
Calme précaire en RDC après l’adoption de la loi électorale
Par Habibou Bangré (Kinshasa, République démocratique du Congo)
Le Monde.fr
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Après plusieurs jours d’émeutes et
de manifestations dont le bilan s’établit, selon les sources, entre 13
et 42 morts, le Parlement congolais a finalement voté la révision de la
loi électorale, dimanche 25 janvier. Sans l’alinéa 3 de l’article 8 à
l’origine du mouvement de protestation de l’opposition. Celui-ci liait
l’organisation de la présidentielle, prévue en 2016, à un recensement de
la population.
Le
recensement est une tâche colossale en République démocratique du Congo
(RDC), vaste de plus de 2 millions de km², aux voies de communications
délabrées et où la moitié du pays est déchirée par l’activisme de
nombreux groupes armés. Plusieurs années pourraient être nécessaires pour le mener à bien. L’opposition y a vu d’emblée une manœuvre pour rallonger le mandat du président. Joseph Kabila au pouvoir depuis 2001 ne peut selon la constitution postuler à un troisième mandat.
Alors qu’il règne à Kinshasa un calme précaire, ce revirement du Parlement est commenté et accueilli diversement :
Lambert Mende, porte-parole du gouvernement
« Nous attribuons [ce revirement] à la nécessité de gérer cette incompréhension [des intentions du gouvernement] que nous-mêmes ne comprenons pas, et qui a fait croire aux gens que nous tenions à lier la présidentielle au recensement ».
Interrogé sur les violences mortelles, le porte-parole du gouvernement a souligné que leurs instigateurs seront « tenus pour responsables devant la justice».
Vital Kamerhe, président de l’Union pour la nation congolaise (opposition)
Parmi les facteurs qui ont joué dans le retrait du texte, il y a « d’abord la cohésion au sein de l’opposition », se réjouit ce leader de l’opposition. « Nous nous sommes mis ensemble, nous nous sommes organisés pour impliquer la population dans la demande de retrait de l’alinéa 3 qui menaçait la constitution et l’alternance en 2016 »
Josaphat Musamba, chercheur pour le Centre de recherches et d’études stratégiques en Afrique centrale, basé à Bukavu (est du pays)
Les manifestations et la position du Sénat [celui-ci souhaitait que l’obligation de tenir les élections en 2016 soit inscrite dans la loi électorale] avait quant au projet de loi ont entraîné un « changement d’équilibre des forces » et les partisans de l’alinéa 3 dans sa version litigieuse ont eu « peur ». « La
majorité s’est dit que si elle passait la loi, peut-être que le pays
sera ingouvernable. Le gouvernement ne peut pas gérer en même temps la
préparation des attaques contre les FDLR (rebelles hutu rwandais des
Forces démocratiques de libération du Rwanda),
l’occupation des positions laissées par les groupes armés locaux et les
tensions générées à Kinshasa, au Nord-Kivu et au Sud-Kivu (est) par la
révision de la loi électorale ».
Fidel Bafilemba, chercheur pour Enough Project, une ONG américaine de lutte contre les crimes contre l’humanité et le génocide
« Les
manifestations constituent un avertissement clair, et la majorité l’a
compris. Je pense qu’ils ont eu plus que peur et que c’est pour cela
qu’ils ont décidé de suspendre internet et les réseaux sociaux - alors que même les employés de l’Etat ne parviennent pas à joindre les deux bouts et que beaucoup survivent grâce à l’argent de la diaspora. Ces fonds n’ont pas pu arriver pendant quatre ou cinq jours en raison de la coupure du réseau », explique Fidel Bafilemba.
Fred Bauma, militant au sein du groupe de jeunes Lutte pour le changement (Lucha), basé à Goma
« Pour
une fois, la population a manifesté avec beaucoup d’insistance pour que
cet article soit revu ou retiré complètement. Le fait que le
gouvernement puisse retirer l’alinéa c’est d’abord une victoire. Il a pris cette décision après avoir compris qu’il y avait beaucoup plus de risques que la situation dégénère si le texte était voté » dans sa version contestée. « Or, on a vu que la police n’arrivait pas à maîtriser les mouvements des manifestants : en trois jours de manifestations, ils ont tué 40 personnes, c’est quand même assez grave ! »
Chadrak, étudiant à l’université de Kinshasa
« Dès le départ, les étudiants savaient que le président [de l’Assemblée nationale] n’aurait pas une autre réaction que celle-là. Il ne pouvait pas faire autrement. » La décision de l’Assemblée de supprimer l’alinéa 3 « montre
que des étudiants ne sont pas morts pour rien, que leur disparition,
qui nous fait mal, que la lutte pour laquelle ils sont morts est arrivée
à son terme ».
Claude, étudiant à l’université de Kinshasa
« Tout le monde maintenant est devenu vigilant, tout le monde
suit ce qui se passe à l’Assemblée nationale et au Sénat avec beaucoup
de prudence. Mais il ne fallait pas que l’on attende que le sang coule
pour comprendre
que les gens ne voulaient pas de cette loi. Maintenant, que le sang a
coulé, ils retirent cet alinéa : c’est regrettable, il ne fallait pas en
arriver là ! »
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