dimanche 24 août 2008

l’implication de la France dans le génocide va plus loin encore | le carnet de Colette Braeckman

 

l’implication de la France dans le génocide va plus loin encore

posté le 5 août 2008 | catégorie actualité

Les sept membres de la Commission nationale indépendante chargée de rassembler des éléments démontrant l’implication de l’Etat français dans la préparation et l’exécution du génocide se disent eux-mêmes surpris de « l’étendue et de la gravité » des faits qu’ils ont ramenés au jour, au terme de 18 mois d’auditions, d’enquêtes sur le terrain, de déplacements en Belgique, en France, en Tanzanie.
Les membres de la « Commission Mucyo » du nom de l’ancien ministre de la justice rwandais qui a dirigé les travaux n’ont pas ménagé leur peine : ils ont décrypté minutieusement toutes les publications disponibles, livres, articles, reportages mais surtout les rapports publiés par la commission d’enquête du sénat belge et, en France, par la Mission d’information parlementaire dirigée par Paul Quilés. Mais surtout, la commission s’est entretenue avec 698 personnes, dont 66 ont été retenues pour être auditionnées publiquement et 13 ont été entendues à huis clos. La commission s’est également déplacée dans plusieurs points du Rwanda pour y recueillir des témoignages de première main sur deux sujets essentiels : les militaires français, fortement engagés aux côtés des forces gouvernementales, ont mis au point la « défense civile » visant à contrer les « envahisseurs » du Front patriotique rwandais, prenant en mains l’entraînement militaire et la formation politique des miliciens. La Commission dévoile aussi la face cachée de l’Opération Turquoise, présentée comme une opération humanitaire et lancée en juin 1994 : l’objectif premier des militaires engagés était moins de sécuriser les Tutsis survivants que de barrer la route au FPR et, une fois confirmée la défaite des forces gouvernementales, de convoyer civils et miliciens vers le Kivu voisin, afin d’y reconstituer des forces hostiles au nouveau régime.
Sans aucun doute, les membres de la commission, nommés par arrêté présidentiel, avaient pour instruction d’instruire à charge et leur travail illustre une thèse bien précise, celle de l’implication française aussi bien dans la préparation du génocide que dans sa mise en œuvre. La Commission évacue donc l’appui donné par les Français et les Belges aux négociations d’Arusha (qui prévoyaient le partage du pouvoir), elle assure n’avoir découvert aucune preuve d’une action occulte ou officielle des Etats Unis (ces derniers sont plutôt accusés d’avoir minimisé le génocide et plaidé en faveur d’une abstention de la communauté internationale) et elle « expédie » en deux mots l’attentat contre l’avion présidentiel, qui, le 6 avril 1994, fut l’élément déclencheur des massacres et dont les auteurs n’ont jamais été ni officiellement recherchés, ni, à fortiori, identifiés.
Cela étant, les membres de la Commission ont l’accablant mérite d’avoir rassemblé d’innombrables pièces du puzzle et d’en avoir retracé le dessin, lui donnant une sanglante lisibilité.
Il apparaît en effet que c’est dès l’attaque du FPR, en 1990, que les conseillers militaires français qui encadrent l’armée rwandaise ne se contentent pas de former la gendarmerie au maintien de l’ordre et à la collecte de renseignements ou d’informatiser le fichier central (qui permettra plus tard de confectionner les listes sur lesquelles figureront les Tutsis), ils mettent en place une structure de défense civile contre les « envahisseurs » venus d’Ouganda, décrits comme des étrangers qui peuvent compter sur des complices qu’il s’agît d’identifier et de neutraliser.
Le rapport démonte ainsi la mécanique fatale du génocide, où l’essentiel des massacres de Tutsis n’ont pas été commis par des militaires, mais par des civils galvanisés par une idéologie de la haine savamment inculquée et encadrés par des miliciens dûment formés et entraînés. Des témoignages particulièrement accablants illustrent l’implication de militaires français dans la formation des Interhahamwe, répartis dans différents centres d’entraînement :Gabiro, Mukamira, le camp Gako et le camp Bigogwe(où se trouvaient aussi des militaires belges, qui semblent avoir été tenus à l’écart…) Ces jeunes gens « physiquement en forme » parmi lesquels des paysans ou des petits fonctionnaires se voient dispenser une formation variée : des instructeurs français leur apportent de la nourriture, ils les endoctrinent dans la haine à l’égard des Tutsis, leur apprennent le maniement des fusils mais surtout, relève l’un des témoins, ils enseignent « comment tuer un grand nombre de gens en peu de temps sans utiliser d’armes, avec une cordelette, un couteau, une baïonnette. » Cette initiation à la haine et à l’assassinat s’intensifiera jusqu’en 1994 et la Commission démontre que l’aboutissement probable de cette formation, à savoir l’exécution de crimes de masse, ne pouvait pas être ignorée par les responsables français, civils et militaires.
Evoquant l’Opération Turquoise, le rapport fourmille de témoignages inédits, qui relèvent que dans la « zone humanitaire sûre » contrôlée par les Français les tueries ont continué jusque fin août et que des civils tutsis auraient été systématiquement jetés dans des sacs et largués au dessus de la forêt de Nyungwe ! La Commission lance aussi les pistes d’enquêtes futures, décrivant comment les « génocidaires » ont été convoyés vers le Congo voisin, réarmés et préparés à reprendre l’offensive contre l’actuel régime de Kigali.
En conclusion, la Commission demande au gouvernement rwandais de se réserver le droit de porter plainte contre l’Etat français pour sa responsabilité dans la préparation et l’exécution du génocide et publie les noms de 1″ responsables politiques et de vingt chefs militaires directement mis en cause

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