dimanche 5 octobre 2008

Le futur du Rwanda ou sa volonté d' en sortir

Subject: Le Rwanda en campagne électorale
Le Rwanda en campagne électorale
posté le 23 septembre 2008
(Reportage réalisé à la veille des élections par Colette Braeckman)
Depuis les collines, les habitants de Kabuga, près de la capitale,
convergent vers le jardin du restaurant Bambino. Dans la foule, beaucoup
de rescapés, qui se souviennent qu¹en 1994 c¹est ici que les Inkontanyi,
les soldats du Front patriotique rwandais, amenaient les civils qu¹ils
avaient réussi à arracher à l¹enfer de Kigali. D¹autres sont d¹anciens
réfugiés revenus d¹Ouganda. Le meeting électoral, tout à la gloire du
FPR, ressemble plus à une fête joyeuse qu¹à une réunion politique. Des
gens se retrouvent, s¹étreignent, reprennent en c¦ur les vieux chants de
combat et scandent « Itzinzi » la victoireSIl y a des drapeaux, des
casquettes, des T-shirts, à tout moment hommes et femmes commencent à
danser, avec les bras qui ondulent comme pour imiter les longues cornes
des vaches Ankole. Sans aucun doute, le FPR est sûr de sa victoire, et
la seule question admise, c¹est la marge qui le séparera de ses rivaux,
le PSD (parti social démocrate) et le PL (parti libéral) deux formations
qui seront de toutes manières associées au gouvernement.
L¹issue des élections législatives, qui se dérouleront du 15 au 18
septembre est évidente car le FPR, qui domine largement la scène
politique, s¹est associé avec six petites formations. Le scrutin ne
comporte que deux inconnues : l¹ampleur d¹une victoire que le FPR
voudrait voir interpréter comme un plébiscite de sa gestion, et
l¹importance de la représentation des femmes : alors qu¹elles devraient
former plus de 30% des effectifs du Parlement, elles risquent d¹emporter
la majorité absolue.
Ce qui représenterait une grande première en Afrique, mais
correspondrait à la réalité rwandaise où, après le génocide, les femmes
ont été obligées de prendre la place et de jouer le rôle des hommes
morts ou exilésSSur le petit podium de Kabuga, comme ils le feront
ensuite au stade de Kigali, bourré à craquer, les orateurs énumèrent la
liste des réalisations dont s¹enorgueillit le régime : les routes ont
été réparées et asphaltées, les TIG (travaux d¹intérêt général) réalisés
par ceux qui avaient été mis en cause pour leur participation au
génocide ont permis de multiplier terrasses anti-érosives et routes de
pavés taillés à la main, l¹accès à l¹éducation primaire est gratuit pour
tous, les citoyens ont accès aux moyens de communication modernes et le
lancement de l¹opération «un ordinateur par élève » est imminent.
Les promesses se succèdent : le gaz méthane, extrait du lac Kivu et
exploité par plusieurs compagnies privées, assurera bientôt
l¹autosuffisance énergétique, le câble optique sera tiré jusque dans les
communes les plus reculées. Charles Murigande, l¹ancien ministre des
Affaires étrangères, cite aussi parmi les succès du régime la visite du
président Bush, les fréquents séjours au Rwanda de l¹ancien président
Clinton et de Bill Gates. Mais c¹est lorsqu¹il évoque les mutuelles de
santé que la foule, spontanément, applaudit. Dans tout le Rwanda en
effet, les citoyens, moyennant une modeste cotisation annuelle de 1000
francs rwandais, ont désormais accès aux soins de santé de base. Et
250.000 d¹entre eux, fonctionnaires, travailleurs d¹entreprises, sont
membres de la mutuelle « Rama », fondée par le Dr Gakwaya, un ancien
médecin de la Vierge Noire à Namur, heureux détenteurs d¹une carte qui
leur donne accès à tous les soins médicaux nécessaires.
Bilans et promesses à usage électoral ? Pas vraiment. Au retour de
Kabuga, notre chauffeur Hassan confirme : « le gouvernement va donner
une vache à chaque famille et il a déjà commencé dans plusieurs
provinces. Des vaches soigneusement sélectionnées ont déjà été
distribuées. Mais désormais, plus question de les laisser brouter dans
les prés : les vaches doivent rester à l¹étable et être nourries avec du
fourrage. » Peu à peu, les vaches aux longues cornes, somptueuses dans
leurs robes fauves ou tachetées mais peu productives, cèdent la place à
des « cousines » venues de Suisse ou d¹Afrique du Sud, plus râblées mais
dont le rendement en lait est bien supérieur.
Même si la plupart de nos interlocuteurs sont prudents, ne se hasardent
pas à critiquer les autorités en public et craignent d¹être accusés de «
divisionnisme », les acquis du régime sont largement reconnus : la
sécurité est réelle et Kigali est l¹une des seules villes d¹Afrique où
des femmes peuvent se promener la nuit sans être inquiétées. S¹il
vérifie les documents des voitures, contrôle ceintures de sécurité,
vitesse requise et casques des motards, aucun policier n¹est jamais
surpris à quémander de l¹argent et les militaires sont d¹une discipline
exemplaire.
Les visiteurs qui reviennent à Kigali après 14 ans d¹absence n¹en
croient pas leurs yeux : ils avaient quitté une petite ville de
province, avec ses maisons basses accrochées aux collines et ses rues de
terre, ils retrouvent aujourd¹hui de vastes avenues asphaltées, des
immeubles de verre et d¹acier, des banques, des bureaux, des maisons à
étages, des restaurants méticuleusement contrôlés par les services
d¹hygiène. Avec orgueil, les Rwandais, surtout ceux qui sont revenus de
la diaspora et se comportent quelquefois comme des nouveaux riches,
aiment montrer les nouveaux quartiers comme Nyarutarama, -parfois
appelée « coltan city »- (le minerai extrait au Congo mais qui se trouve
au Rwanda égalementS) où se succèdent des maisons de style californien,
avec terrasses et colonnades, où un lac artificiel a été creusé dans la
vallée, où les courts de tennis voisinent avec des greens soigneusement
entretenus. Sur toutes les collines qui ceinturent la ville s¹étendent
des cités nouvelles, maisons aux toits rouges ou bureaux aux larges
fenêtres.
Tous ceux qui le pouvaient ont investi dans l¹immobilier, attendant
d¹importants investissements venus des pays du Golfe ou de Dubaï, qui a
déjà acheté le parc de l¹ Akagera. Dans tout le pays, la propreté
surprend : pas un papier n¹est jeté sur la voie publique et à
l¹aéroport, les voyageurs se voient confisquer tous leurs sacs en
plastique, obligatoirement remplacés par des sacs de jute ou de papier.
Au cours des dix dernières années, le Rwanda s¹est plus transformé qu¹en
un siècle de colonisation, qu¹en 40 ans d¹indépendance : le petit pays
modeste d¹hier, à l¹ambiance paroissiale et parfois hypocrite, déborde
d¹ambition.
Romain Murenzi, ancien professeur de physique aux Etats-Unis et
aujourd¹hui attaché à la présidence, incarne les ambitions du nouveau
Rwanda : « nous avons déjà un million d¹abonnés au téléphone portable,
ils seront 5 millions en 2012. Avec l¹aide d¹une compagnie chinoise,
nous venons de produire nous-mêmes un portable bon marché, avec des
indications en kinyarwanda. Sa diffusion, avec des connections
adéquates, aura des usages multiples : phone banking, gestion des stocks
de médicaments dans les dispensaires, sensibilisation à la lutte contre
le SidaS » Lorsque nous l¹avions rencontré voici trois ans, nous nous
demandions si ce petit homme débordant de projets et d¹enthousiasme
n¹était pas un utopiste, voire un doux dingue. C¹était mal mesurer la
volonté de changement, de modernisation qui anime les dirigeants
rwandais. Des projets annoncés hier se matérialisent aujourd¹hui : tout
Kigali est creusé de tranchées où est déposé un câble optique tiré
depuis Mombasa sur l¹Océan Indien et qui rampe déjà vers Butare. Il faut
croire Murenzi lorsqu¹il déclare que « le Rwanda a pour vocation de
devenir la colonne vertébrale des communications de toute la région, un
« digital hub » où se croiseront les communications du Burundi, de l¹est
du Congo » et qu¹il promet la prochaine arrivée de la télévision
digitale, mise en ¦uvre par une compagnie chinoise. A la fois
visionnaire et réaliste, Murenzi assure « lorsque tous les Rwandais
auront accès à Internet, qu¹ils pourront communiquer, s¹informer,
consulter des banques de données, passer des examens et conquérir des
diplômes, l¹enclavement mental qui a permis le génocide aura disparu. La
propagande mortifère n¹aura plus prise sur ces gens làS »
Enthousiaste, l¹ancien professeur d¹université, qui veut mettre en ¦uvre
300 microbarrages et distribuer 50.000 « labtops », entrevoit déjà cet
horizon 20/20 qu¹il prépare : « depuis 1994, le PNB a déjà doublé, nous
sommes à 370 dollars par habitant, visons les 400 dollars en 2010.
Croyez moi, avant 2020 nous aurons atteint notre objectif, 900 dollars
par habitant, nous allons gagner la lutte contre la pauvretéS »
En attendant, on a parfois le sentiment qu¹à Kigali, ce sont surtout les
pauvres que l¹on fait disparaître, que l¹on dissimule aux regards. Comme
dans toutes les villes en voie de modernisation sinon de «
gentryfication », les quartiers populaires sont progressivement rasés.
Les habitants du « Kyovu des pauvres », une vaste colline bien exposée,
passage obligé vers le centre ville, n¹en finissent pas de se lamenter :
voici un mois, ils ont eu 24 heures pour déguerpir, reculer devant les
bulldozers qui dévorèrent leurs maisons en une seule journée, un
sinistre dimanche qu¹ils ne sont pas près d¹oublierS
Nous retrouvons Damien, Amélie à la sortie de la messe à laquelle ils
ont assisté à l¹église de la Sainte Famille. «Nous savions que
l¹expropriation était prévue, que la mairie envisage de construire à
Kyovu des bureaux, des immeubles à étages. Mais nous pensions qu¹ on
nous donnerait le temps de chercher autre chose, de trouver un accord
sur le prix de l¹indemnisation. Au lieu de cela, ce fameux dimanche, on
nous a donné notre chèque en même temps qu¹on nous ordonnait de vider
les lieux. » Certes, la Caisse sociale, qui récupère les terrains, a
indemnisé les habitants de Kyovu, qui ont même réussi à obtenir des
montants supérieurs à la suite d¹une contre expertise et d¹un recours en
urgence auprès de l¹ombudsman national, Tito Rutaremera. Mais les
expulsés refusent d¹aller vivre dans les petites maisons qui leur sont
proposées à Batsinda, dans la périphérie, car les transports sont longs
et coûteux. Et ceux qui veulent rester en ville constatent que les
loyers ont tripléSMais surtout, ainsi que l¹explique un chef de
quartier, « ce que nous déplorons, c¹est que toutes les relations
sociales sont briséesS Il avait été si difficile de revivre ensemble,
rescapés du génocide, Tutsis revenus du Burundi ou de Tanzanie, Hutus
rentrés des camps du Congo, veuves, orphelins, autochtones qui vivaient
déjà ici avant la colonisation. A Kyovu, tout le monde se mélangeait,
peu à peu le traumatisme du génocide s¹atténuait. Aujourd¹hui, nous
revoilà à nouveau transplantés, dispersés. Seuls, une fois de plusS »
Dans ce vaste chantier qu¹est le Rwanda, on se lève tôt, on travaille
jusqu¹à la nuit, on oublie la paresseuse indolence d¹autrefois. «
Imihigo » contrat de performance, est devenu le mot magique :
bourgmestres comme députés ou ministres, tous les responsables ont
conclu avec le président une sorte de pacte personnel, s¹engageant à
atteindre, dans un délai déterminé, tel ou tel objectif. Et tous
assurent que ce diable d¹homme, remarquablement renseigné, les suit à la
trace, transcrit sur ordinateur le nombre d¹étudiants par commune ou les
chiffres de production et qu¹il n¹hésite pas à congédier les traînards,
les moins chanceux, pour ne pas parler de ceux qui seraient soupçonnés
de corruptionS
Kagamé se défend d¹être pressé, autoritaire, de piquer quelquefois des
colères qui effraient : « oui, je pousse les gens, je les bouscule, je
veux aller vite. Mais il s¹agît de sortir de la pauvreté, au plus tôt.
Au Rwanda, nous n¹avons pas de pétrole, pas de ressources
extraordinaires. Ce que nous pouvons offrir, c¹est le souci de
l¹environnement, la sécurité, le travailSL¹aide étrangère ne sera pas
toujours là, nous devons nous préparer à compter sur nos propres forcesS
» Même si l¹eau bout dans la casserole à pression, le président pousse
les feuxS
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