lundi 7 novembre 2011

L’unité du Congo, enjeu de l’élection présidentielle du 28 novembre 2011

lundi 7 novembre 2011 Alain Bischoff*

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Joseph Kabila et son épouse Marie Olive Lembe Kabila en campagne à Bukavu, le 5 novembre 2011

Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) vient de rendre public, le 2 novembre à Copenhague, son « Rapport annuel sur le développement humain »(1). Selon ce rapport, l’indice de développement humain (IDH) fondé sur l’espérance de vie, le niveau d’éducation et le niveau de vie des pays étudiés classe la RDC au dernier rang de ceux-ci, le 187ème. C’est dire l’énormité de la tâche qui attend le futur président de la République démocratique du Congo.

Après la modification constitutionnelle de janvier 2011 permettant l’élection du président à la majorité simple à l’issue d’un seul tour de scrutin, il y a tout lieu de penser que Joseph Kabila, bénéficiant des relais de l’administration et de l’appui des onze gouverneurs de provinces, tous du PPRD, ainsi que du soutien, discret, de la « communauté internationale » se succédera à lui-même, face à une opposition émiettée regroupant dix candidats, sans toutefois avoir la certitude que les provinces qui avaient assuré son élection en 2006 (Katanga, Maniema, les deux Kivu) lui reconduisent une fois encore leur soutien.

En effet, le bilan du président sortant n’est pas bon. La réalisation des cinq chantiers majeurs (infrastructures, emploi, accès à l’eau potable et à l’électricité, éducation, santé) dont il avait fait son programme lors de l’élection de 2006 est loin d’être achevée. La démocratie congolaise en est toujours à balbutier et, pendant le quinquennat - pour se limiter à cet aspect de la vie publique - a connu de multiples et graves entorses commises à l’encontre du respect des libertés publiques, les meurtres de journalistes et de représentants d’ONG ont été nombreux – l’assassinat de Floribert Chebaya reste impuni.

L’exploitation des richesses naturelles du Congo continue, comme par le passé, à être soit confiée (bradée) à des multinationales, soit réservée par copinage à un petit cercle de profiteurs, et ne contribue que très imparfaitement à l’amélioration des finances publiques. Une véritable agriculture vivrière nationale est inexistante, la protection de la forêt du bassin du Congo n’est pas prise au sérieux, et la paix au Kivu est loin d’être revenue à cause de la faiblesse insigne de l’État congolais. Bref, on a bien du mal à répondre à la question de savoir en quoi, depuis 2006, la vie quotidienne des Congolais, se serait améliorée ?

La situation au Kivu ne laisse pas d’inquiéter : aux problèmes récurrents (surpopulation, litiges fonciers, absence d’affirmation de l’État) s’ajoutent ceux provoqués par Kagamé qui vient d’annoncer son refus de reconnaître comme nationaux les Rwandais non retournés au Rwanda avant la fin de l’année 2011, ceux qui résultent de la présence de bandes armées, d’ ex-FDLR, d’ ex-CNDP de Nkunda - que l’armée congolaise, peu fiable, ne parvient pas à éradiquer - auxquels viendraient s’ajouter maintenant, si l’on en croit la presse de Kinshasa, des groupes islamistes Al-Chabab chassés de Somalie par l’offensive de l’armée kenyane. La terreur et la désolation continuent à être le lot quotidien des populations des provinces de l’Est.

Il est évident que de la résolution des problèmes du Kivu dépend le maintien de l’unité de la RDC. Mais, paradoxalement, l’enlisement de la situation dans l’est du pays, que l’on peut considérer comme un échec supplémentaire du président Kabila pourrait au contraire contribuer à son succès lors de la future présidentielle. Évidemment, l’essentiel reste à faire au Kivu, mais des avancées sont tout de même à porter au crédit du président sortant : n’a-t-il pas en effet réussi à rétablir le dialogue entre le Rwanda et le Congo ? Un dialogue indispensable car sans le Rwanda, pas de paix au Kivu, sans le Rwanda, pas d’élimination de Nkunda et du CNDP ; et quand bien même la coopération entre les deux pays traduirait, selon les adversaires de Kabila, une mainmise du Rwanda sur le Kivu, elle a permis de faire en sorte que Kagamé ne soit plus regardé par la « communauté internationale » comme le seul interlocuteur de la sous-région des Grands Lacs. Par son action conciliatrice, Kabila est parvenu à faire comprendre au monde entier que la RDC existait, que le Kivu ne pouvait être considéré comme un Lebensraum du Rwanda dont la responsabilité dans l’instabilité de la région et le pillage des ressources naturelles de la province a été reconnue avec force par l’ONU.

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Étienne Tshisekedi, lors d’un meeting au Stade des Martyrs à Kinshasa

Kabila a ainsi acquis une stature et une reconnaissance internationales auxquelles aucun de ses opposants à la présidentielle ne peut prétendre. Comment imaginer en effet que Tshisekedi, vieux cheval de retour, de près de 80 ans d’âge, qui n’a rien compris au processus démocratique initié en 2005 par Joseph Kabila, bien mouillé par le mobutisme, (même s’il en a été par intermittence un opposant) – complaisant avec l’ « empereur » du Kasaï, le séparatiste Kalonji, au point de s’abaisser à traiter Patrice Lumumba de « crapaud » en 1961 - puisse être un recours et porteur de solutions pour l’avenir de la RDC ?

Quant à Vital Kamerhe, bien qu’honnête et compétent, et à Kongo wa Dondo, président respecté du Sénat, aucun d’eux n’a d’assise partisane suffisante pour changer la donne de l’élection présidentielle.

Le danger pour le président élu en 2011, et pour le Congo, est ailleurs. S’il est réélu, Kabila le sera – comme chacun de ses concurrents le serait - avec moins de 50% des suffrages. Se posera alors la question de sa légitimité, qu’il devra chercher dans une majorité parlementaire qui sera difficile à trouver. Le pire serait que l’on voie alors l’opposition tout entière coalisée contre lui (une stratégie d’union entre ses divers concurrents a déjà été mise en place), confortée encore par le mode de scrutin proportionnel retenu pour les élections législatives, source potentielle de conflit permanent entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Comment, dans ces conditions, mener une politique susceptible de résoudre, enfin, les problèmes de la RDC et surtout d’éviter son atomisation ? Si l’on considère que seule l’affirmation d’un État congolais fort, qui passe par l’avènement d’un exécutif incontestable, est la condition du retour à la stabilité du Kivu, et par là, de la sauvegarde de l’unité du pays, on ne peut que déplorer, par avance, les difficultés que menace de faire naître une coalition hétéroclite uniquement cimentée par le rejet de Kabila.

À cette paralysie à craindre d’un fonctionnement normal des institutions, s’ajoute, en effet, le risque de voir l’opposition refuser le verdict des urnes. Un proche de Tshisekedi, rencontré en octobre à Paris, m’a fait part de sa certitude qu’il y aurait très probablement une vague de contestation dès le lendemain de l’élection dont la régularité est d’ores et déjà contestée.

Il est vrai que les difficultés logistiques du scrutin (enregistrement de 32 millions d’électeurs, transport du matériel dans 62.000 bureaux de vote, distribution des bulletins de vote rendue difficile par la présence de plus de 18.000 candidats aux législatives et 11 à la présidentielle…) ont été plus ou moins résolues, avec l’aide de la MONUSCO, sans pour autant que cessent les critiques furieuses contre la commission électorale (CENI), notamment quant à l’établissement des fichiers électoraux.

Quoi qu’il en soit, les doutes de l’opposition, déjà formulés, à propos de la régularité des opérations électorales (les mêmes doutes avaient déjà été émis en 2006 alors même que cette élection, très réussie, restera comme un exemple d’expression démocratique), ainsi qu’’un sentiment de frustration résultant naturellement de la défaite, peuvent être un détonateur. Le risque est grand de voir s’enflammer, après l’élection, non plus seulement Kinshasa – comme cela avait été le cas en mars 2007 lorsque la milice privée de Bemba se heurta à la GSSP du président élu, causant la mort de plus de 200 personnes dans le quartier de La Gombe – mais aussi un certain nombre de provinces, notamment le Kasaï, fief de l’UDPS, peut-être aussi le Kivu, tellement déchiré, voire le Katanga, toujours irrédentiste malgré l’estimé et efficace gouverneur de la province, Moïse Katumbi Chapwe. Ce serait une grande irresponsabilité de l’opposition que d’attiser la haine avec comme seul but de discréditer Joseph Kabila aux yeux de la population et de l’étranger. À ce jeu-là, c’est le Congo qui serait perdant, en proie à l’émeute, avec un président mis dans l’incapacité de constituer un gouvernement avant longtemps et dans l’impossibilité de poursuivre la reconstruction du pays, déjà bien lente, et d’assurer la préservation de son unité, faute, qui plus est, de pouvoir compter, sur des forces de sécurité sûres parce que composées, notamment au Kivu, par d’ex-rebelles du CNDP mal intégrés. On ne peut croire qu’un tel scénario catastrophe puisse être en train de s’écrire et se concrétise après une élection, qui, aussi imparfaite qu’elle pourrait être dans son déroulement et son esprit, sera malgré tout l’expression démocratique d’une majorité des Congolais.|Alain Bischoff.

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(1) Lire ici >>>>>Le rapport annuel 2011 du PNUD sur le développement humain

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